Algérie : Comment encourager les investissements directs étrangers – Entretien avec Rachid SEKAK, Spécialiste de la finance et ex-PDG d’HSBC Algérie

Interview réalisée le 03 décembre 2019

Centre Algérien de Diplomatie Economique : Monsieur Rachid SEKAK, avant de débuter notre entretien, pourriez-vous vous présenter auprès de nos lecteurs ?

Rachid Sekak : Je suis titulaire d’un MBA en Finance de l’Université de Californie (USA) et d’une licence es Economie Financière de l’Université d’Alger.

Après un début de carrière dans l’enseignement supérieur aux USA et en Algérie, j’ai réalisé l’essentiel de ma carrière professionnelle dans le secteur bancaire en Algérie et à l’international.

Entre 1990 et 1995, j’ai exercé plusieurs fonctions au sein de la Banque d’Algérie, Secrétaire général du Conseil de la Monnaie et du Crédit puis Directeur de la Dette Extérieure, avant d’exercer dans l’international. Directeur du Réseau et de la zone Asie au sein de l’Union de Banques Arabes et Françaises ( Paris ) de 1995 à 2000 (UBAF groupe Crédit Lyonnais) , Directeur général de Nara Consulting SA ( Paris ) de 2000 à 2003 , puis de nouveau Directeur au sein de l’Union de Banques Arabes et Françaises (UBAF Groupe Calyon) en charge de la zone Afrique , des activités de négoce et des projets énergétiques de 2003 à 2006.

Je rejoins ensuite le Groupe HSBC en qualité de chargé de mission au sein de HSBC France avant de devenir Chief Executive Officer de HSBC Algeria de 2007 à juin 2013 , puis chargé de mission au sein de la Direction de la stratégie de HSBC France jusqu’en septembre 2014.

Depuis mon départ du secteur bancaire, je me consacre au Conseil et à la formation et dirige BRS Consultants & Associés (Paris) qui intervient comme conseil pour les gouvernements, les banques d’affaires, les Fonds d’investissement et les entreprises.

Je suis aussi l’un des fondateurs de SL Finances (slfinances.com), une société de conseils Stratégiques & Financiers qui intervient auprès de groupes et entreprises en Algérie.

CADE : Pourriez-vous nous décrire le climat des affaires en Algérie ?

Rachid Sekak : Le climat des affaires se compose d’une « alchimie complexe » qui apprécie pour un pays particulier « la fluidité » du business et la qualité du cadre institutionnel associé.

Le climat des affaires n’est pas bon chez nous et ce aussi bien pour les opérateurs locaux que pour les investisseurs étrangers.

Il est l’un des facteurs qui nuit à l’attractivité du pays pour les IDE et doit impérativement être amélioré. Les principaux points d’amélioration et les axes d’effort sont connus : la simplification des formalités administrative, la lutte contre la corruption, l’accès au financement, la stabilité du cadre juridique, l’efficacité du système judicaire et la stabilité macroéconomique.

A noter que la perception du climat des affaires est aussi largement influencée par le contexte politique et social.

La résolution de l’équation politique apparait donc chez nous comme un préalable à toute amélioration.

CADE : Quelles sont les craintes des investisseurs étrangers ?

Rachid Sekak : Les facteurs d’inquiétude des investisseurs étrangers sont multiples : l’instabilité politique, l’instabilité économique et monétaire, la « bureaucratie », l’instabilité du cadre juridique et réglementaire et bien sur la corruption.

Ces perceptions sont amplifiées par un manque de visibilité et de transparence mais aussi par une communication officielle inefficiente pour ne pas dire inexistante.

L’Algérie dispose d’un potentiel qu’elle ne sait pas réaliser et certainement pas vendre à l’étranger !

Notre diplomatie économique est inefficiente et « ronronne ».  Le « storytelling » n’est pas son fort. Elle devrait s’inspirer de celui très offensif de certains de nos voisins et déployer une plus grande force de conviction.

CADE : Au regard du contexte politique actuel, quelles sont les actions que l’Etat devra entreprendre rapidement pour attirer les IDE ?

Rachid Sekak : Le contexte économique est morose et pour le moins compliqué et le contexte politique y est pour beaucoup.

Le principal souci sera de rétablir la confiance. Ce qui relève aussi d’une « alchimie complexe ».

Pour attirer les IDE, il faudra convaincre en communicant et en agissant dans la bonne direction. Deux axes complémentaires apparaissent :

Définir et communiquer sur des trajectoires budgétaires et de balance des paiements qui organisent un retour crédible aux grands équilibres macroéconomiques.

Définir une stratégie économique pluriannuelle et mettre en œuvre avec conviction un programme de réformes structurelles essentielles visant à diversifier notre économie et à encourager la libre entreprise.

Mais attention, les IDE, comme les marchés financiers, sont sensibles aux discours mais ils réagissent aux actes.

CADE : Comment intégrer les acteurs économiques locaux dans le processus d’attractivité des IDE ?

Rachid Sekak : Un postulat de base : « faciliter la vie » aux acteurs locaux représente aussi un excellent moyen d’accroitre l’attractivité du pays pour les IDE.

Alors, il faudra d’abord prendre conscience et accepter au niveau politique l’idée qu’une croissance économique pérenne pour le pays ne viendra que du secteur privé ou ne viendra pas.

Ensuite, un choc culturel est impératif. Revoir de fond en comble notre gouvernance économique notamment par la mise en œuvre d’une nouvelle philosophie du service public. Actuellement le texte réglementaire est synonyme d’interdit. Cela doit évoluer. Il doit devenir un outil qui trace les manières de faire, promeut et incite les innovations et les initiatives. L’administration doit se recentrer sur les exigences du terrain et ne pas se concentrer sur celles associées à la redistribution de la rente. Elle doit écouter, accompagner, informer et communiquer.

Ce recentrage implique aussi l’allégement et la simplification des formalités administratives. Ce que les anglo-saxons appellent le « streamlining ». Pour cela, il faut un engagement politique fort pour le numérique et la donc la transparence.

Un dernier élément me semble important : la concertation. Les évolutions réglementaires et institutionnelles doivent être menées au travers d’une concertation en amont avec la totalité des parties prenantes.

CADE : Sur quels fronts les pouvoirs publics doivent agir pour stimuler la reprise économique ?

Rachid Sekak : Je ne crois pas aux mesures prises dans l’urgence. Ces « mesures d’urgence » se sont, par le passé, le plus souvent traduites par des décisions de nature administrative inefficaces, contreproductives et incohérentes.

Notre situation économique est très complexe et notre modèle économique est obsolète.

L’urgence : établir un diagnostic sans complaisance et totalement transparent puis reconstruire une vision en faisant appel aux vrais experts locaux et de notre diaspora.

Une reprise économique pérenne ne peut se faire qu’en n’entreprenant une reconstruction économique. Et il n’y a pas de « mesure d’urgence » mais un ensemble de mesures d’urgence cohérente et pluridisciplinaires.

CADE : Comment réformer le système financier de sorte à constituer un levier stratégique d’attractivité des IDE ?

Rachid Sekak : Vaste sujet ! Mais, en effet, la modernisation de notre système bancaire et financier est un préalable à l’amélioration de notre attractivité.

Pour réformer notre système bancaire et financier il n’y a pas de mesure unique, unilatérale ou solitaire mais uniquement des mesures conjointes et cohérentes.

J’ai déjà plusieurs fois développé dans le détail un programme complet de réforme du secteur bancaire et financier. Pour aller à l’essentiel, au risque de me répéter, et sans vouloir être exhaustif, les axes d’efforts suivants apparaissent comme les plus importants :

  • La définition d’une stratégie de développement du secteur et sa communication en vue de donner de la visibilité aux investisseurs locaux et étrangers intéressés par ce secteur. La concurrence devra être le maitre-mot de cette stratégie car seule la concurrence peut être le moteur de l’innovation.
  • La clarification du rôle des banques publiques et le renforcement-modification de leur gouvernance pour les éloigner d’un simple rôle de redistribution de la rente. Ceci passera notamment par la privatisation partielle ou totale du CPA et de la BDL dont l’activité sera fortement réorientée vers le secteur privé notamment la PME. La qualité et la composante des conseils d’administration et le renforcement des outils de pilotage seront des variables-clés pour améliorer l’efficience des banques publiques qui ne seront pas privatisées.
  • Le retour à une autonomie de la banque d’Algérie telle que définie par la Loi Monnaie et crédit d’avril 1990.
  • Des évolutions réglementaires notamment en matière de contrôle des changes et de supervision bancaire.
  • L’amélioration du cadre macro-prudentiel avec notamment le renforcement des registres de crédit.
  • Des évolutions institutionnelles en dehors du secteur bancaire touchant notamment le système juridique et les droits de propriété en vue de renforcer les droits des créanciers et ceux des investisseurs.
  • Une volonté réelle d’innovation facilitant l’introduction de nouvelles technologies pour l’élargissement de l’offre de produits et de services par la digitalisation. Le développement massif des moyens de paiements modernes (monétique, internet et mobile Banking) est un impératif urgent.
  • Un effort colossal de formation et de communication pour produire un choc culturel, faire adhérer à la réforme et renforcer la capacité financière de nos banques.

Mais attention de ne pas emprunter des raccourcis. La réforme du secteur bancaire est certes incontournable mais elle ne sera pas à elle seule suffisante pour relancer la croissance et diversifier notre économie si elle n’est pas accompagnée d’un programme cohérent de réformes structurelles dont elle est seulement une partie.

Interview réalisée par l’équipe du Centre Algérien de Diplomatie Économique .

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