Algérie : Les perspectives d’évolution de la Bourse d’Alger – Entretien avec Yazid Benmouhoub, Directeur Général de la Bourse d’Alger

Interview publiée le 19 Janvier 2020

Centre Algérien de Diplomatie Economique : Bonjour Monsieur Yazid Benmouhoub, avant d’entamer le fond de notre entretien, pourriez-vous vous présenter auprès de nos lecteurs ?

Yazid Benmouhoub : Tout d’abord, je vous remercie pour l’intérêt que vous portez à la bourse d’Alger. Pour nous, les medias sont un acteur important dans la diffusion de l’information financière de marché. Pour mon parcours académique et professionnel, je suis Titulaire d’un Bac scientifique et suis titulaire d’un diplôme d’Etudes Supérieures en finances publiques de l’institut national des finances (INF) suite à quoi j’ai intégré l’administration du trésor, en qualité d’inspecteur principal, en 1993. En 1994, j’ai entamé une post-graduation spécialisée en fiscalité (DPGS), à l’institut maghrébin d’économie douanière et fiscale (IEDF), pour intégrer ensuite l’administration fiscale, en 1997. En 1999, j’ai obtenu une bourse d’étude pour suivre une formation de Master à l’université de Paris-Dauphine, en science des organisations. En 2012, j’ai rejoint le Ministère de la prospective et des statistiques en qualité de Directeur d’Etude en charge des équilibres macro-économiques. En 2013, j’ai eu l’opportunité de diriger la Bourse d’Alger et j’y suis à ce jour en qualité de Directeur Général. Enfin, en 2017, j’ai pris l’option de me perfectionner dans le management des entreprises, j’ai alors suivi une formation en Executive Master Business Administration, à l’Ecole Supérieure Algérienne des Affaires (ESSA), qui dispense cette formation avec Audencia Business School de Nantes et je suis diplômé depuis Décembre 2019.

CADE : Dans un premier temps, comment pourriez-vous nous présenter la structure interne de la bourse d’Alger ?

Yazid Benmouhoub : Ce qu’il faut savoir, c’est que la bourse est une structure qui permet de financer les entreprises, grandes et PME, et même l’Etat et les collectivités territoriales, en mobilisant des ressources financières d’autres agents économiques (Entreprises et personnes physiques).

Pour ce faire, la Bourse d’Alger est divisée en 02 grands marchés :

  • Marché des actions, lui même composé d’un marché principal (pour les Grandes entreprises) et un marché réservé exclusivement aux PME. Sur l’un et l’autre, les sociétés par action (SPA) peuvent se financer en ouvrant leur capital à d’autres investisseurs. nous retrouvons sur ces marché 06 sociétés cotées, à savoir Hotel El-Aurassi, Saidal, Alliances Assurances, NCA Rouiba et Biopharm en plus d’une PME, AOM Invest SPA.
  •  Marché Obligataire, qui permet aux entreprises qui ne souhaitent pas ouvrir leur capital, de s’endetter via  l’émission d’obligations.

Une fois les entreprises cotées, la Bourse assure des séances de cotations, trois fois par semaine (Dimanche, Mardi et jeudi), pour permettre aux actionnaires et autres investisseurs intéressés, de vendre ou d’acheter des actions ou des obligations, dans le but bien entendu de faire fructifier leur argent.

Nous assurons également la diffusion de l’information financière à l’issue des séances de cotations,  à travers tous les canaux possibles (Site internet et application mobile de la Bourse d’Alger, presse écrite et audiovisuelle, affichage etc…).

Accessoirement, nous œuvrons à faire de la vulgarisation du marché boursier algérien et à former les acteurs du marché en vue de créer un écosystème homogène capable de booster l’activité boursière en Algérie.

CADE : Pourriez-vous nous établir une synthèse de diagnostic du marché boursier en Algérie ?

Yazid Benmouhoub : La bourse n’a pas eu l’opportunité de jouer un rôle prépondérant dans le financement de l’économie nationale, malgré les avantages qu’elle véhicule aussi bien pour les entreprises que pour les particuliers.

En terme d’avantages, il y’ a lieu de préciser d’abord que le financement via le marché boursier ne génère pas d’inflation pour l’économie.

Pour les entreprises, la bourse leur permet de lever des fonds, dont les montants ne sont pas plafonnés sur des périodes de moyen et long terme, sans l’exigence de constituer des garanties de types hypothèques ou cautions. Cela permet de réduire le coût du financement.A travers l’ouverture de leur capital, la bourse d’Alger leur permet soit de l’augmenter, fournissant ainsi une meilleure garantie pour les tiers (banques, fournisseurs…), soit de procéder à des cessions de part, lorsque, par exemple un actionnaire majoritaire souhaite se retirer de la gestion de l’entreprise. Sur ce point, les plus-values de cession éventuelles, seront totalement exonérées des impôts (IRG pour personnes physique et IBS pour personnes morales), alors que les cessions de part en dehors de la bourse sont taxables, s il y a plus-values.

Les montants levés conséquemment à l’ouverture du capital demeureront dans l’entreprise tant que celle-ci est en activité. Ce ne sont donc pas des crédits qu’il faut restituer. Ainsi, la situation financière de l’entreprise se trouve renforcée sur le long terme.

La société peut réserver une partie du capital émis à l’ouverture, à ses salariés (1% par exemple). Ils auront donc, en fin d’exercice, droit à des dividendes, en plus de leurs salaires périodiques. Cette démarche, que nous suggérons, aux managers, renforce les liens d’appartenance des salariés à leur entreprise et les encourage à être plus productifs.

Pour les sociétés qui se projettent vers l’export, une cotation en bourse, en plus des fonds levés, améliore sensiblement leur image à l’international et leur permet de rentrer plus facilement sur ces marchés, souvent exigeants en terme de transparence.

Enfin, pour les sociétés familiales, la bourse est un excellent moyen pour pérenniser la vie de l’entreprise mais surtout de faciliter la transmission de capital entre membres de la famille.

D’un autre côté, la bourse permet de capter l’épargne dormante, donc un véritable vecteur d’inclusion financière.

En terme d’inconvénients, je dirais que le seul qui pourrait être cité, réside dans l’obligation de transparence exigé par le marché. Cela met une pression sur les managers qui doivent veiller à fournir les informations financières et autres, que la réglementation boursière exige. Toutefois, elle permet de faire évaluer positivement la gouvernance de la société, qui se verra contrainte d’épouser les meilleures pratiques en la matière. Beaucoup d’entreprises algériennes privées accusent un déficit énorme en terme de bonne gouvernance. La bourse les aide à se structurer davantage en adoptant les meilleurs standards en la matière.

CADE : Comment qualifieriez vous le mécanisme algérien d’introduction en Bourse ?

Yazid Benmouhoub : La bourse étant un marché réglementé, l’introduction d’une entreprise est soumise à la réunion d’un certain nombre de conditions. Celles-ci sont à considérer comme des garanties qui visent d’abord à protéger les investisseurs, c’est-à-dire, les actionnaires puisque se sont eux qui apportent les fonds.

Par ailleurs, dans le processus d’introduction, le travail le plus important doit être réalisé par l’entreprise elle-même sans l’intervention de la société de Bourse (SGBV) ou de l’autorité du marché (COSOB). La société qui souhaite lever des fonds via la Bourse, doit d’abord avoir le statut de SPA. Ainsi, une SARL ou EURL qui envisage de s’introduire en bourse, doit modifier ses statuts vers la forme SPA. Ensuite, il y’a lieu de fixer la valeur de cette société ; étape importante qui est laissée à l’appréciation de l’entreprise qui devra faire appel à des experts reconnus par la COSOB, en vue de procéder à son évaluation. Cette partie est considérée comme la plus importante dans le processus et risque par conséquent, en fonction de la taille et du secteur d’activité de l’entreprise, prendre un temps plus ou moins long.

Il est utile de préciser que la mise en place, au niveau de la Bourse d’Alger, d’un marché dédié au financement des PME, a procédé à la simplification des conditions d’accès dans le but de permettre à cette catégorie d’entreprises d’accéder à des financements capables de soutenir leur forte croissance.

Mais en parlant d’efficience du marché, il est encore tôt d’en parler pour la simple raison que le nombre de sociétés cotées demeure encore très faible et non représentatif des différents secteurs de l’économie. Augmenter la profondeur du marché est notre priorité et nous pensons que la situation financière du pays est un facteur qui pourrait permettre l’essor du marché boursier.

CADE : Quels sont les produits financiers actuellement proposés par la Bourse d’Alger ? Et, pour quels segments de clientèle ?

Yazid Benmouhoub : Pour le moment, les produits financiers proposés par la Bourse sont les actions (produits d’investissement en capital), rémunérés par un dividende qui est fonction du résultat de la société cotée et du pourcentage de détention du capital par l’investisseur et les obligations (produits d’endettement), rémunérées par un taux d’intérêt, généralement progressif dans le temps et dont la quotité est définie à l’avance.

Ces produits sont destinés à tout type d’investisseur, personnes physique ou morale. Seulement, il faut souligner qu’en fonction des besoins des entreprises, à l’introduction il y’a généralement une segmentation de l’offre pour toucher un maximum d’investisseur.

CADE : Quelles sont les actions à mettre en place pour attirer les non consommateurs absolus qui sont dans l’impossibilité de consommer un service financier quelconque pour des raisons religieuses ?

Yazid Benmouhoub : Votre question nous renvoie à la problématique de l’inclusion financière en Algérie. Celle-ci demeure un frein à la stabilité financière mais également à la croissance économique. En effet, il n’est pas concevable qu’une grande partie de la population, en 2020, soit exclue de l’accès aux divers services et produits financiers. Cette exclusion favorise le développement du marché informel, qui, il faut le rappeler brasse, selon les chiffres de la Banque d’Algérie, quelques 50 Milliards de Dollars.

Il devient ainsi urgent de remédier à cette situation en actionnant plusieurs leviers.

Parmi eux, varier l’offre de produits financiers est un impératif à concrétiser dans les plus brefs délais. C’est dans cette optique que nous travaillons à varier l’offre au niveau du marché boursier, en voulant intégrer des instruments de financement dit « charia complaint », autrement dit, des instruments islamiques que sont les sukuks. Toutefois, il est nécessaire de revoir certains textes légaux, tels que le code de commerce qui ne connait pas encore cette variété d’instrument, mais également, la loi fiscale en vue de neutraliser la double imposition qui pourrait résulter des montages financiers propres à cette discipline.

Nous relevons avec satisfaction les avancées dans le secteur bancaire qui, désormais, peut offrir au public, des produits participatifs, à travers les fenêtres islamiques, autorisées par la banque d’Algérie, dans son « règlement n°18-02  du 04 novembre 2018 portant conditions d’exercice  des opérations de banque relevant  de la finance participative par les banques et établissements financiers ».

Par ailleurs, l’écosystème de la finance participative se met graduellement en place, puisque la loi de finances 2020 vient d’autoriser les sociétés d’assurances à proposer des polices conformes à la charia, c’est-à-dire, le Takaful.

Parallèlement, à ces développements nécessaires, nous estimons que la digitalisation du secteur financier ne peut plus attendre. Elle représente un pilier sur lequel nous devons travailler pour rendre les transactions et les services totalement digitalisés mais surtout effective. Sur ce point, la bourse va lancer au cours de cette année 2020, un nouveau système d’information totalement digitalisé et qui répond aux standards des cotations usités par les plus grandes places boursières dans le monde.

CADE : De quelle manière la bourse d’Alger peut-elle attirer les non consommateurs relatifs, tels que les algériens non-résidents, qui sont dans l’incapacité d’investir leur argent à partir de l’étranger ?

Yazid Benmouhoub : Cela nécessite une autorisation que doit donner la banque d’Algerie, aux étrangers de pouvoir investir en bourse avec la possibilité de rapatrier les gains, et ce, en publiant au journal officiel le Règlement n°2000-03 du 02 Avril 2000, relatif aux investissements étrangers.

CADE : Concernant les opérations boursières, réaliser une communication financière performante est considéré comme un facteur clé de succès pour une entreprise cotée en bourse. Pensez vous que la communication est appréhendée de manière efficace par les entreprises cotées à la bourse d’Alger ?

Yazid Benmouhoub : Sur un marché boursier l’information forme et se transforme en prix. Il est donc primordial que l’information financière des sociétés cotées soit disponible pour les investisseurs, qui fondent, en priorité, leur décision d’investir sur ce type d’élément. Lorsqu’une société est cotée, elle doit faire preuve de beaucoup d’attention aux informations diffusées. Certaines informations sont obligatoirement diffusables, alors que d’autres sont laissées à l’appréciation de l’entreprise. Disons, qu’une communication maitrisée rassure l’investisseur et permet d’installer un climat de confiance nécessaire dans ce milieu.

CADE : Pourriez-vous nous parler des perspectives d’évolution de la bourse algérienne ? Et que doit-on améliorer pour attirer les gros investisseurs ?

Yazid Benmouhoub : Comme je l’ai précisé au tout début de cet interview, la bourse n’a pas pu jouer pleinement son rôle dans le financement de l’économie. Nous œuvrons à lui redonner sa place, en axant d’abord nos efforts sur la vulgarisation de la culture boursière auprès des opérateurs mais aussi du grand public. Le système de financement qui a prévalu jusqu’ici a montré ses limites, par conséquent, il est urgent de repenser le modèle de financement actuel de notre économie en activant d’autres sources de financement, tel que la bourse, les fonds d’investissement, les banques d’affaire…..etc.

Un engagement, des plus hautes autorités en faveur du marché est la clé de succès, car il permettra d’installer la confiance des opérateurs économiques et des investisseurs potentiels. L’introduction en bourse de certaines entreprises publiques, à l’image de celles qui ont été sélectionnées en 2013, permettrait à la bourse de gagner en profondeur et créerait le déclic nécessaire à l’arrivée des grands opérateurs privés à la cote officielle de la bourse d’Alger.

Entretien réalisé par l’équipe du Centre Algérien de la Diplomatie Economique



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