« Là ou est l’argent » – Entretien avec Maxime Renahy – Ex collaborateur de la DGSE dans les paradis fiscaux

Interview réalisée le 26 Novembre 2019

Centre Algérien de Diplomatie Economique : Bonjour Monsieur Maxime Renahy, avant de commencer notre entretien, pourriez-vous vous présenter auprès de nos lecteurs ?

Maxime Renahy : Bonjour, j’ai 41 ans, je suis originaire de Besançon en Franche-Comté. De 2007 à 2012 j’ai été administrateur de fonds d’investissement à Jersey puis au Luxembourg. Durant cette même période j’ai travaillé bénévolement avec la DGSE dans le but de collecter des informations susceptibles de défendre les intérêts français. J’ai sans doute un parcours atypique car mon cursus à l’origine ne me prédisposait pas, à priori, à travailler dans la finance ou pour le renseignement. J’ai fait des études de droit puis une formation hôtelière pour travailler dans les palaces. J’ai décidé en 2006 de partir en Grande-Bretagne pour aller apprendre l’anglais. Grâce à des amis j’ai eu la possibilité d’aller travailler dans le plus gros cabinet d’avocats de l’île de Jersey. A l’époque j’ai décidé de m’y rendre par curiosité et par intuition. Je sentais que c’était un lieu de secrets à explorer.

CADE : Quel est l’élément déclencheur qui a fait d’un simple banquier comme vous un collaborateur de la DGSE au service de la France ?

Maxime Renahy : Il y a eu plusieurs éléments déclencheurs, mais il y a surtout deux raisons principales à cette collaboration. La première, bien que j’étais novice dans le milieu de la finance en 2007, formé à l’anglo-saxonne sur le tas, j’ai très vite compris que le paradis fiscal est le lieu, non pas uniquement de la fraude fiscale, utilisé par les puissants pour cacher leurs activités illicites. La deuxième raison de mon engagement me vient de mon éducation. Mon grand-père a été résistant dès 1940 à l’âge de 19 ans et j’ai eu un père militant pendant près de dix ans dans le PCMLF, un parti politique maoïste interdit par Giscard d’Estaing. J’ai eu pour modèles deux figures qui avaient à cœur de servir le bien commun, gratuitement, dans la clandestinité avec leurs amis. Ma famille était un environnement propice au travail futur de collecte d’informations de façon clandestine.

CADE : Concernant les parais fiscaux, Comment s’organise l’évasion fiscale au niveau international ?

Maxime Renahy : La question est évidemment vaste. Les « recettes »utilisées par les financiers ou les personnes utilisant les paradis fiscaux sont protéiformes.
Je répondrai à votre question par une autre. Pour comprendre l’activité des paradis fiscaux et accessoirement l’évasion fiscale il faut comprendre qui sont les acteurs de ces lieux. Qui utilise, qui dirige les paradis fiscaux et dans quels buts ? De manière générale les paradis fiscaux sont utilisés par les États, les multinationales, les milliardaires, certains politiques, certains hauts fonctionnaires. Ceux qui dirigent les paradis fiscaux sont les avocats. Les raisons d’utilisation des paradis fiscaux sont très nombreuses, en dehors de l’évasion fiscale : délit d’initié, liquidation frauduleuse à distance, abus de biens sociaux, investissements interdits, violations des lois européennes sur la finance (par exemple en matière de fonds de solvabilité, de fonds propres), caisse noire, rétrocommission etc…

CADE : Pourriez-vous nous donner des exemples de missions effectuées au sein des paradis fiscaux ?

Maxime Renahy : Je décris dans mon livre « Là où est l’argent » des exemples de ces missions. Ces missions étaient structurées autour de trois axes :

  • Répondre aux demandes de mon officier traitant du moment qui étaient communiquées via une liste surnommée « liste de courses ». Cette liste de courses était faite de demandes très techniques.
    -Trouver des profils de français, francophiles sur Jersey puis au Luxembourg, susceptibles d’être approchés par la suite par les services français pour développer un réseau d’agents à Jersey puis au Luxembourg.
  • Enfin j’avais carte blanche pour trouver un maximum d’éléments pouvant servir les intérêts français.
    Dans les listes de courses cela pouvait être de chercher:
  • où se trouvaient les actifs de Khadafi après son décès.
  • si les banques françaises et assurances françaises utilisant les paradis fiscaux soient bien en règle avec les lois.
  • les schémas de rétrocommissions des fabricants d’armes étrangers.
  • les placements financiers de certains oligarques américains et russes.
  • surveiller les investissements de fonds souverains passant par Jersey ou le Luxembourg pour investir en Europe…

CADE : Que représente le scandale des Panama papers par rapport à l’ampleur du phénomène globale de l’évasion fiscale ?

Maxime Renahy : Ce n’est même pas une goutte d’eau.

CADE : Peut-on imaginer que la médiatisation de scandales tels que les Panama Papers et les leaks découle d’une stratégie préméditée ayant un autre objectif que celui de la lutte contre l’évasion fiscale ?

Maxime Renahy : Oui bien sûr, c’est une possibilité largement envisageable.

CADE : Vous avez quitté le monde du renseignement et de la finance pour créer l’ONG « Lanceur d’alerte ». Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur sa mission et son fonctionnement ?

Maxime Renahy : Lanceur d’alerte est une association que j’ai Co-fondé avec mon frère Alexandre. L’objet de l’association est d’aider les lanceurs d’alerte ou ceux qui souhaitent rester anonymes et nous transmettre des informations sur des fraudes, quelque soit le domaine de la fraude (agroalimentaire, politique, financier, écologie etc.). Ces informations peuvent ensuite, une fois vérifiées, soit être partagées avec le presse dite alternative et/ou utilisées pour assigner des fraudeurs. Nous avons assigné dans le passé les milliardaires Besnier (groupe Lactalis) et Bigard (groupe Bigard) (en partenariat avec l’ONG L214 et les lanceurs d’alerte Inès Léraud et Pierre Hinard) pour non publication de leurs comptes. Ces actions ont été couronnées de succès. Avec la webtv le Média pour laquelle mon frère et moi travaillons et avec le secrétaire du PCF, Fabien Roussel, nous avons assignés dernièrement la deuxième fortune du monde, le français Bernard Arnault, pour non publication de certains de ces comptes. Neuf autres assignations contre des multinationales et milliardaires français vont être délivrées très prochainement. D’autres procès, cette fois-ci au pénal, sont prévus prochainement contre des groupes financiers étrangers.

CADE : Enfin, Comment faire la distinction entre un vrai et un faux lanceur d’alerte ?

Maxime Renahy : Pour moi il n’y a pas de vrai ou de faux lanceur d’alerte. Soit l’information divulguée relève de la défense du bien commun soit elle ne l’est pas. Peu importe que certains lanceuses ou lanceurs d’alerte puissent avoir des égaux ou des gros défauts, ils n’en restent pas moins des êtres humains.

Interview réalisée par l’équipe du Centre Algérien de Diplomatie Économique .

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