La Tunisie face à une instabilité stratégique – Interview de Mme Sonia Séfi

Interview réalisée le 18 aout 2019


Centre Algérien de Diplomatie Économique : bonjour Madame Sonia Séfi, pourriez-vous vous présenter ?

Sonia Séfi : Directrice de stratégie d’une entreprise innovante en France. J’accompagne actuellement les entrepreneurs à gérer ou anticiper des situations de crises afin d’accroître leur chiffre d’affaires.

Je développe mon expertise en intelligence économique avec la Tunisie pour l’aider à sortir de la crise économique qu’elle vit depuis quelques années.

CADE : Que pensez-vous de la situation d’instabilité par laquelle passe la Tunisie actuellement ?

Sonia Séfi : Depuis le printemps arabe, l’économie a été fortement impactée qu’elle soit sociale, touristique ou industrielle. Les tunisiens ont vu leur pouvoir d’achat diminuer drastiquement.

Par ailleurs, la révolution et sa liberté ont permis : l’ouverture de plusieurs universités, la possibilité de s’exprimer, de manifester, mais aussi, la création de syndicat, qui a induit un abus comportemental envers les entreprises, exemple : grèves fréquentes empêchant les salariés d’accéder aux entreprises. Cette situation a provoqué un désagrément majeur chez beaucoup d’entreprises étrangères. Certaines d’entre elles ont fait le choix de se retirer de ce pays riche en culture et en ressources.

La mort récente du président Béji Caïd ESSEBSI, « un homme d’État », qui savait « incarner l’État Tunisien » et était « respecté à l’international » nous fait rentrer dans une inconnue politique. Je pense que cette situation peut devenir une opportunité de renouveau. La plupart des tunisiens sont confiants et attendent impatiemment l’élection présidentielle anticipée du 15 septembre 2019. Si aucun candidat ne remporte la majorité absolue au premier tour, un deuxième tour aura lieu.

CADE : Les récents événements risquent d’impacter la situation économique et surtout la période estivale, comment voyez-vous les choses ?

Sonia Séfi : La situation économique a repris, les touristes sont de retour. J’ai pu moi-même constater la forte présence de russes, français, anglais, italiens, etc., dans beaucoup de villes côtières, mais aussi dans des endroits peu fréquentés du fait aux températures élevées : le grand sud tunisien.

Ayant parcouru la Tunisie pendant plus d’un mois je n’ai pas ressenti d’insécurité. Les tunisiens sont toujours aussi chaleureux et souriants. Pour rassurer les touristes, la sécurité sur les plages et dans les hôtels est très présente.

Le récent attentat avait pour objectif de créer une instabilité sécuritaire pour impacter principalement le secteur clé du tourisme.         

Pour ma part, je suis confiante sur les capacités des tunisiens à trouver des solutions convenables. Ils ont pu tester la liberté, la vraie, où tout est possible mais il faut se mettre à l’évidence qu’une liberté sans cadre est vouée à l’anarchie et que pour trouver l’harmonie il faut un minimum de cadrage.

CADE : Comment voyez-vous l’évolution de la situation politique actuelle et ses prochaines échéances électorales ?

Sonia Séfi : L’inversion du calendrier a modifié la stratégie de nombreux partis.  Désormais, la campagne officielle pour Carthage démarrera le 2 septembre. Le premier tour, le 15 septembre, précédera l’élection de la nouvelle Assemblée, le 6 octobre. Le second tour de la présidentielle aura lieu après, il n’est pas daté.

La Tunisie vit en parallèle depuis quelques années maintenant, on se prête de l’argent sans passer par les banques, on met ses enfants dans des écoles parallèles – coranique ou autres -, on pratique une santé parallèle, hors pharmacie, etc.

Les élections de 2019, prévues initialement le 10 novembre, étaient déjà annoncées comme étant un séisme politique en vue. La mort du président n’a fait que précipiter ce séisme en laissant la possibilité à d’autres candidats de se présenter. L’instance électorale (ISIE) a recalé 71 dossiers de candidatures à la présidentielle anticipée. Ils seront 26 à s’affronter. Ce plein de candidatures fait sourire. Il peut aussi être interprété comme un regain démocratique, après des décennies de candidature unique, d’élection parodique, de parti unique, d’opposition 《officielle》. Les candidats qui rempliront les critères de L’ISIE seront tous issus de partis politiques installés, ayant des instances internes, des militants.

Parmi les candidats retenus nous pouvons retrouver certains favoris de la présidentielle : Youssef Chahed – premier ministre candidat du parti Tahya Tounes, récemment fondé -, Nabil Karoui – homme d’affaires et magnat des médias -, Abir Moussi – pro Zine el Abidine Ben Ali et présidente du Parti destourien libre -,  Abdelkarim Zbidi – ministre de la défense -, Abdelfattah Mourou – du Parti d’inspiration islamique Ennahdha. Il occupe temporairement la présidence du Parlement en lieu et place de Mohamed Ennaceur, devenu chef d’État par intérim après le décès le 25 juillet de Béji Caïd Essebsi.  Certains candidats se préparent depuis plus de 2 ans.

Ces dernières années de liberté ont permis aux tunisiens de trouver ou réfléchir sur leur identité.

Ce qui semble anarchique à première vue peut prendre avec un peu de recul une forme très claire, définie et apporter une nouvelle beauté.

Avant la libération, les tunisiens vivaient à travers un cadre identitaire commun aussi clair que fort et toute une hiérarchie qui l’incarnait pleinement et la diffusait.

L’objectif est donc de clarifier l’identité collective réelle (celle que chacun vit) en définissant ses valeurs, une raison d’être inspirante, un positionnement affirmé et une vision concrète.

Mettre en place des rituels de diffusion de cette identité, pour que chacun à son niveau l’incarne pleinement, à sa façon.

Aligner ses discours afin de pouvoir sélectionner des partenaires économiques qui auront une certaine résonance avec l’identité collective.

CADE : A votre avis, sur quels axes la Tunisie doit se baser pour rejoindre le train des pays émergents ?

Sonia Séfi : La Tunisie est le 1er pays arabe qui fait la révolution en 2011. De là, commence la liberté. Mais il reste beaucoup à faire pour stabiliser le pays.

L’économie touristique est toujours l’axe le plus important mais il ne faut pas oublier les partenariats avec les entreprises étrangères qui permettent aux entreprises d’investir et au pays de se développer.

L’industrie et le secteur agricole sont deux axes impératifs à l’émergence de la Tunisie, il faut les soutenir en mettant en place un cadre législatif et financier favorable à leur développement.

L’éducation professionnalisante est très sollicitée, elle permet aux jeunes et aux moins jeunes de trouver tout de suite un métier. A l’heure actuelle il y a beaucoup de chômage car les postes ne sont pas renouvelés.

Interview réalisée par l’équipe du Centre Algérien de Diplomatie Économique

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