Les Enjeux de la Guerre Économique : Comment les Grandes Entreprises Européennes Naviguent dans l’Extraterritorialité du Droit ? Entretien avec David Gendreau et Alexandre Leraître

Entretien publié le 6 Novembre 2023

Centre Algérien de Diplomatie Economique : Bonjour David Gendreau (DG), Alexandre Leraître (AL), pourriez-vous vous présenter auprès de nos lecteurs?

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DG : Nous sommes des réalisateurs de documentaire. Notre dernier film s’intitule La Bataille d’Airbus et est diffusé sur Arte depuis juin 2023, il fait suite à notre précédent documentaire qui portait sur l’affaire Alstom (diffusé en 2017 sur LCP). Ces deux films forment un diptyque sur la guerre économique et judiciaire entre la France et les Etats-Unis. La lutte contre la corruption mené par ces derniers devient en réalité une arme pour déstabiliser les entreprises qui les concurrencent, voir les racheter, parfois dans des secteurs très stratégiques.

AL : Notre premier film montraient la passivité de la France vis-à-vis de cette offensive, et le second comment le pays a finalement réagit et mis en place une stratégie pour éviter que l’affaire Airbus soit une nouvelle affaire Alstom.

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CADE : Comment les grandes entreprises européennes, telles qu’Airbus, ont-elles adapté leurs pratiques commerciales pour naviguer dans un environnement où le phénomène d’extraterritorialité du droit peut avoir des répercussions significatives sur leurs activités?

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DG : Concernant Airbus, l’entreprise a tout d’abord identifié d’où pouvaient venir les faits de corruption, ou plus largement les manquements à certaines normes (comme ITAR) puis a mis en place une conformité extrêmement stricte. Tout cela ne s’est pas fait dans la joie et la bonne humeur, évidemment. Ça a provoqué des tensions qui ont véritablement chamboulé l’entreprise, et aujourd’hui le groupe est très corseté au niveau de la pratique commerciale. Mais ça lui permet, dans le cas où une affaire sort, de prouver sa « bonne foi » devant une autorité judiciaire (le DOJ, le PNF ou le SFO par exemple), afin de réduire le montant de l’amende.

Se sachant être la cible de la justice américaine, elle a ensuite mis en place une stratégie pour contourner cette offensive, en allant porté le dossier au Royaume-Uni.

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CADE : Pourriez-vous nous expliquer le rôle de la loi Sapin 2 dans l’affaire Airbus et en quoi cette législation a-t-elle permis à l’entreprise de procéder à une autodénonciation devant les autorités anticorruption françaises, britanniques et états-uniennes?

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DG : Dans l’affaire Airbus, la loi Sapin 2 a permis à la France de s’emparer du dossier. Elle confère une portée extraterritorialité à la justice française, mais surtout elle permet à la France d’importer la justice transactionnelle, calquée sur la système américain et britannique. Cela permet à une entreprise de négocier le montant d’une amende avec le procureur afin d’éviter le procès et donc potentiellement une condamnation.

Airbus s’est auto-dénoncé aux britanniques, pas à la France, probablement car elle ne possédait pas encore ce type de procédure. La France a été surpris par cette stratégie et a accéléré le vote de la loi Sapin II pour pouvoir se joindre aux britanniques avec le même systèmes judiciaire, afin de contrôler le dossier.

AL : La loi Sapin 2 permet également de filtrer les données qui sont envoyés aux autorités américaines (ou à une autre autorité). Il s’agit d’un vieux serpent de mer de que l’on appelle « La loi de blocage », mais qui n’a jamais réussi à être correctement appliqué en France. Dans ce genre de procédure, les États-Unis avaient l’habitude de réclamer des millions de documents, qui pouvait contenir des informations très sensibles. La France a mis dorénavant en place une procédure pour que ces documents soit filtrés.

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CADE : Pouvez-vous nous éclairer sur les défis juridiques auxquels les grandes entreprises françaises sont confrontées lorsqu’elles opèrent sur le marché international, et comment cherchent-elles à assurer une concurrence équitable malgré les différences législatives entre les pays?

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DG : Elles peuvent être poursuivis par les Etats-Unis sur des soupçons de corruption ou d’embargos (décrété par les américains) même si les faits n’ont pas eu lieu sur le sol des États-Unis. Il suffit d’utiliser le dollar, une filiale américaine ou d’être côté à la bourse de New-York. Donc certains ont mis en place des normes de conformité qui ont pris en compte cette réalité. La France impose aussi, via l’Agence Française Anticorruption (l’AFA) des standards qui obligent les entreprises à se mettre à un certain niveau sur ces sujets.

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CADE : À la lumière de l’exemple de la vente de la branche énergie d’Alstom à General Electric en 2014, quelles sont les principales mesures ayant été prises pour face aux risques potentiels liés à l’extraterritorialité du droit, « un concept ambigu qui remet en cause la souveraineté des États »?

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DG : Les mesures sont uniquement défensives. La Loi Sapin 2 dont nous avons parlé plus haut permet de couper l’herbe sous le pied aux américains en poursuivant les entreprises françaises (ou en s’invitant dans le dossier) afin de limiter la casse.

AL : Il n’y a pour l’instant aucune réciprocité, le Parquet National Financier n’a pas poursuivi d’entreprises américaines malgré qu’il ait toutes les armes législatives pour le faire. Il manque clairement une volonté politique et des moyens.

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CADE : Selon vous, comment le développement d’un puissant arsenal juridique chinois pour protéger ses intérêts internationaux pourrait-il potentiellement influencer les dynamiques économiques mondiales?

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DG : La Chine est pour l’instant passive sur ce type de dossier. Ils ont adoptés des lois extraterritoriales mais principalement sur les embargos et pas sur la corruption. Ils ont également pris des mesures défensives, sur le modèle de ce que l’on a fait avec Sapin 2. Il y a donc une crainte, c’est qu’ils décident d’utiliser ces lois pour s’inviter dans la danse. Mais ils pourraient également adopter une autre stratégie, différentes des Etats-Unis, qui serait de défendre les frontières et ainsi de s’opposer à la notion d’extraterritorialité. Pour l’instant, on ne peut que constater que, dans cette guerre judiciaire, ils observent et s’arment.

AL : Il faut aussi noter que l’extraterritorialité des Etats-Unis n’a pas touché d’entreprises chinoises, mais principalement des pays alliés des Etats-Unis (Europe, Japon etc.).

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CADE : Quelles sont les implications législatives et surtout économiques et géopolitiques pour les États de l’Union européenne face aux législations extraterritoriales ou de blocage des États-Unis et de la Chine et comment peuvent-ils se préparer à faire face à cette situation complexe et évolutive?

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AL : Le problème de l’Union européenne est qu’il s’agit d’un regroupement de 27 états dont les positions sont radicalement différentes sur ces sujets. On le montre dans notre film : malgré le fait que l’Allemagne soit le cofondateur et le co-actionnaire d’Airbus avec les français, ils n’ont rien fait dans cette affaire. Car sur ce genre de dossier, leur position est beaucoup plus atlantiste que la position française. Si deux pays aussi importants en Europe ont des visions opposés concernant une entreprise majeure pour ces deux nations, je vous laisse imaginer ce que cela donne à 27…

DG : La leçon à tirer c’est qu’il faut arrêter de tout attendre de l’Union Européenne, car c’est aussi une façon de se déresponsabiliser. Dans l’affaire Airbus, la France a pris les devants au niveau local et ça a payé. Pour grossir le trait, si on avait attendu d’avoir un consensus au niveau européen, Airbus serait devenu américain.

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Entretien réalisé par l’équipe du Centre Algérien de Diplomatie Economique. 

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