Comment rendre l’Algérie un pays crédible auprès des Investisseurs internationaux – Interview de Karim Zaghib, Practice Professor à l’Université de McGill et Conseiller Stratégique à Investissement Québec
Entretien publié le 28 Novembre 2020
Centre Algérien de Diplomatie Economique : Bonjour M. ZAGHIB, pourriez-vous vous présenter auprès de nos lecteurs ?
Karim Zaghib : Je m’appelle Karim ZAGHIB, je suis d’origine algérienne, et cela fait 25 ans que je vis au Canada. Avant cela, j’ai vécu en France et au Japon.
Sur le plan professionnel, je suis en même temps professeur à l’université McGill à Montréal et conseiller stratégique dans l’installation d’usines de fabrication de batteries et de leurs composantes (de la mine jusqu’au recyclage) pour Investissement Québec, une société d’État du gouvernement du Québec.
CADE : Actuellement, en Algérie, on observe des mouvements liés au développement structurel du pays. Néanmoins, force est de constater que certaines conditions requises ne sont pas réunies pour ce qui est de l’attractivité économique de l’Algérie vis-à-vis des investissements directs étrangers (IDE). Quel est votre regard en tant qu’expert international faisant partie de la diaspora algérienne sur cette problématique ?
Karim Zaghib : Pour répondre à cette question, je commencerai par évoquer les principales potentialités que l’Algérie présente à mon sens :
- Une situation géographique exceptionnelle du fait de sa proximité avec les continents européen et asiatique, des vols directs reliant l’Algérie à l’Amérique du Nord mais aussi des frontières terrestres avec les pays du Maghreb et l’Afrique subsaharienne. L’Afrique apparait depuis quelques années comme un relais de croissance dans le système économique mondial.
- Des ressources naturelles abondantes dont le pétrole, le gaz, le phosphate, le zinc, le fer, l’or, l’uranium, le tungstène, le kaolin, etc. Ces matières premières sont primordiales pour le système économique algérien. Leurs premières et deuxièmes transformations devraient se faire en Algérie pour la création d’emplois et d’expertises ainsi que la valorisation des ressources naturelles.
- Un capital humain de qualité. L’Algérie bénéficie d’une population relativement jeune et éduquée qui est source de créativité de par ses aptitudes et talents et pour laquelle un système d’éducation qualitatif devra impérativement voir le jour afin d’être mieux valorisé et reconnu dans le monde.
Néanmoins, pour donner confiance aux investisseurs étrangers, un cadre politique stable est nécessaire. Il est vrai que je ne dispose pas de connaissances poussées me permettant de traiter ce thème de manière approfondie mais, de par les échos que j’ai reçus d’investisseurs allemands, japonais ou autres, la question de la stabilité politique est sine qua non à un climat des affaires apaisé. Aujourd’hui, il parait évident que la stabilité sécuritaire est en grande partie assurée. Reste l’aspect politico-social, lequel doit absolument évoluer dans le bon sens afin de construire sereinement un modèle économique viable pour l’Algérie.
La communication est un levier qui doit absolument être développé. Pour réussir à attirer les investisseurs étrangers, il est primordial de développer une communication pertinente et multilingue. Cette dernière doit ensuite être intégrée au sein même de la stratégie économique internationale. Pour bien communiquer dans un environnement extraterritorial, il faut un cadre référent afin d’établir une communication cohérente. Par exemple, lorsque la communication est menée en collaboration avec un organisme international (ou plusieurs), celui-ci s’appuie sur son propre réseau pour connaitre tous les éléments nécessaires en lien avec le pays et les investisseurs ciblés.
Le cadre de loi représente également un critère important sur lequel les investisseurs étrangers vont s’appuyer dans leurs choix d’investissement à l’international. Par exemple, la loi 51/49, est largement contraignante pour les IDE. Par ailleurs, il est absolument nécessaire d’intégrer les mécanismes liés au droit et au commerce internationaux.
CADE : Vous avez évoqué dans votre réponse à la première question un certain nombre d’axes sur lesquels l’Algérie devrait s’appuyer dans le cadre de son développement structurel. Selon vous, comment l’Algérie devrait-elle s’y prendre afin de bien se positionner sur la voie du développement ?
Karim Zaghib : Selon moi, tout cela devra commencer par une vision stratégique à travers laquelle l’Algérie pourra se représenter un ou plusieurs futurs souhaités. Pour cela, il faudra être très attentif aux tendances qui marquent la société, l’économie et les autres aspects de la vie quotidienne. Développer une vision va nécessiter dans la pratique d’impliquer l’ensemble des forces vives, en interne comme à l’étranger (diaspora), dans un cadre d’intervention inclusif et cohérent. Ensuite, viendra la stratégie globale qui déterminera la manière dont l’Algérie réalisera sa vision à travers la maitrise des facteurs de développement.
Dans l’élaboration d’un plan d’action stratégique, l’Algérie devra passer par différentes étapes. Ainsi, pour atteindre les objectifs tracés dans le cadre de ce plan, plusieurs parties prenantes seront déterminées et impliquées. Les investisseurs en font partie et leur choix devra se faire sur la base de certains critères ; la récente tentative algérienne de développer une industrie automobile et son échec retentissant est le parfait exemple de ce que l’Algérie de demain devra éviter de faire.
En outre, la stratégie devra être appréhendée de manière méthodique. D’un côté, on a une démarche incluant plusieurs étapes en commençant par l’analyse stratégique, qui intègre le diagnostic interne regroupant les forces et faiblesses de l’Algérie et le diagnostic externe impliquant les opportunités et les menaces issues de l’environnement international. D’un autre côté, il est important de citer les stades d’intervention de la démarche stratégique :
- La stratégie globale qui concerne l’Algérie dans sa globalité.
- La stratégie par domaine d’activité qui va se limiter à une activité spécifique.
- La stratégie opérationnelle qui détaille les plans d’actions mis en œuvre au niveau tactique.
Revenant au diagnostic interne global, où les points faibles de l’Algérie sont aussi considérés comme étant des points à améliorer. Pour ce faire, il serait intéressant de mettre en place des comités restreints d’experts et de spécialistes reconnus dans leurs domaines respectifs en leur affectant un administrateur dont le rôle serait de coordonner de manière transversale avec les institutions étatiques concernées.
Le développement d’une vision globale accompagnée d’une démarche stratégique se concrétisant par un certain nombre de plans d’actions mais aussi l’inclusion de l’ensemble des forces vives internes et externes fera sortir l’Algérie de sa dépendance aux hydrocarbures initiant de ce fait la transition d’une économie rentière à une économie productive fondée sur la connaissance. Cela dit, ne pas être dépendant ne signifie en aucun cas qu’il faille ne plus donner la priorité à la dimension énergétique, qui resterait l’axe prioritaire pour l’Algérie suivi de la sécurité alimentaire, la santé, l’éducation, etc.
En ce qui concerne le domaine de l’énergie, il est important de lui concevoir une stratégie spécifique sur laquelle l’Algérie devra communiquer. Cela permettra aux investisseurs étrangers d’être rassurés quant au fait d’avoir un cadre économique stable et explicite. Car, si on devait prendre l’exemple de l’énergie solaire, dans le cadre des accords d’association liant l’Algérie à des prestataires étrangers comme c’est le cas avec Dii Desert Energy, il est primordial que cela s’inscrive dans une optique de partenariat gagnant-gagnant avec la possibilité d’un transfert de connaissances à la clef à l’instar de la Chine.
La question de l’autosuffisance alimentaire est une problématique récurrente en Algérie pour laquelle des solutions devront être trouvées de manière définitive. Il est inconcevable que l’un des pays les plus importants en Afrique soit encore au stade de l’insécurité alimentaire. Là encore, au lieu d’importer le produit fini, on peut mettre en place une stratégie ayant pour objectif une industrie agro-alimentaire performante. Pour cela, il serait utile de faire appel à des partenaires internationaux sur la base de certains critères, dont le transfert de connaissances, afin que l’Algérie puisse par exemple moderniser son agriculture. Le progrès technique a fait que le domaine agricole s’est aujourd’hui grandement modernisé en utilisant des outils informatiques dédiés à accomplir différentes tâches administratives et techniques. Aux Etats-Unis, la Californie est à la pointe de la technologie en matière d’agriculture connectée. L’Algérie pourrait donc se manifester auprès des firmes californiennes spécialisées avec l’idée de moderniser son agriculture.
Il en va de même pour la santé et l’éducation, où là aussi il ne faudra pas lésiner sur les efforts en vue de concevoir des stratégies spécifiques à chacun de ces deux grands domaines centraux. Cela passera par des collaborations avec des experts et des instituts nationaux et internationaux pour renforcer ces deux domaines. Il faudra accélérer la construction d’hôpitaux modernes distribués selon les besoins et les populations des wilayas. Par ailleurs, il faudra renforcer et augmenter le financement de la recherche scientifique dans les universités et les orienter vers le triangle théorie-recherche fondamentale-recherche appliquée. Ceci permettra l’élaboration d’un plan de maillage avec l’industrie pour que les étudiants puissent trouver un travail dans leur domaine.
Pour finir, le développement des infrastructures, l’allégement du poids bureaucratique et la modernisation du système administratif sont autant de facteurs clés quant au renforcement de l’attractivité de l’Algérie relativement aux IDE, cela par la création d’un écosystème industriel et économique organisé s’étalant sur l’ensemble du territoire algérien.
CADE : Comment percevez-vous la participation de la diaspora dans le développement économique de l’Algérie ? Et, à travers quel mode opératoire ?
Karim Zaghib : En ce qui concerne la diaspora, la problématique majeure, selon moi, est le cadre législatif. Je ne conçois absolument pas le fait qu’un algérien de par sa nationalité et ses origines ne puisse pas accéder à des postes supérieurs dans l’appareil d’État sous prétexte qu’il est détenteur de deux nationalités. À mon avis, la priorité devrait être donnée aux compétences plutôt qu’aux simples critères administratifs. Si on devait prendre l’exemple du Canada, au sein du gouvernement de J. Trudeau on trouve un certain nombre de ministres et de hauts fonctionnaires issus de l’immigration (Inde, Afghanistan, Soudan, Hong Kong, Ukraine, etc.), qui ont pu accéder à ce niveau socioprofessionnel principalement grâce à leurs compétences.
Il ne suffit pas de faire appel à la diaspora pour que tout soit réglé instantanément, cela relève de l’utopie. Le fait de prendre attache avec un expert algérien vivant à l’étranger et disposant d’une spécialisation fine dans un domaine précis en vue d’une mission de conseil à court terme n’a aucun sens au regard de la situation actuelle de l’Algérie. Notre pays a grand besoin d’une vision et de stratégies incluant sa diaspora tout au long du processus et cela de manière intégrée. Et, l’intégration signifie être considéré comme un algérien à part entière ayant la possibilité d’accéder aux hautes fonctions de l’État.
Mon expérience personnelle me conduit à penser que certains hauts fonctionnaires algériens partagent cette idée d’intégration de la diaspora ; j’ai récemment été contacté par le commissaire chargé des énergies renouvelables auprès du premier ministre. Aujourd’hui, je suis un membre du comité chargé de la question des énergies renouvelables et plus particulièrement la nécessaire transition énergétique par le recours aux sources d’énergie solaires et éoliennes ainsi que l’électrification des transports, ce qui est à la portée de l’Algérie si elle s’en donne les moyens d’y parvenir. En faisant appel à ma personne, j’ai déduit qu’a priori l’État algérien faisait l’effort d’intégrer le bon élément au bon poste, cela même si le profil ciblé se situe hors du territoire national. En me basant sur les informations dont je dispose, je peux vous dire que rares sont les algériens vivant à l’étranger qui ont refusé de venir en aide à l’Algérie quand elle en avait besoin. Néanmoins, le constat est parlant. Actuellement, en Algérie, il n’y a pas un seul ministre provenant de la diaspora. Est-ce cela l’Algérie nouvelle dont on entend parler depuis quelques temps ? Comment l’Algérie peut se développer structurellement si les mêmes erreurs sont indéfiniment réitérées ? Pour moi, ne pas intégrer l’ensemble des algériens, en interne comme à l’extérieur, est une erreur stratégique. Le fait est qu’il existe, à l’échelle planétaire, des algériens aux compétences singulières pouvant largement aider l’Algérie dans son projet de développement. La question devant être posée est de savoir si notre pays peut se passer de ces algériens hautement qualifiés dans sa volonté de se développer.
CADE : Pour finir, quel est votre regard sur l’Algérie nouvelle incluant toutes ses forces vives y compris sa diaspora dans le cadre de son processus de développement ?
Karim Zaghib : D’ici 2025, l’Algérie pourrait concrétiser d’importants changements structurels en vue de son indépendance des hydrocarbures. Pour cela, il est impératif que l’État daigne traduire sa vision stratégique en objectifs opérationnels. Le temps de la réflexion doit être achevé au plus tôt pour laisser la place à l’action qui doit être structurée et inclusive en impliquant l’ensemble des énergies pouvant participer à ce vaste projet.
Il est vrai que le contexte actuel est relativement complexe aggravé par une crise sanitaire majeure bloquant toute activité socio-économique. C’est pour cela que les algériens devront faire preuve de beaucoup de résilience afin que nous puissions ensemble surmonter cette crise conjoncturelle aux effets dévastateurs.
Regarder le verre à moitié plein consiste à admettre nos faiblesses en premier lieu pour ensuite les transformer en forces. Le COVID-19 a aggravé une crise structurelle déjà présente. C’est le révélateur de l’ensemble de nos faiblesses, non seulement sanitaires mais touchant à tous les aspects de la vie. C’est une grande menace que nous devons combattre grâce à notre résilience globale et une certaine capacité d’adaptation à un environnement mondial de plus en plus complexe. Et la diaspora aura un rôle clé dans la compréhension des grands enjeux stratégiques actuels et futurs.
La conception d’un modèle économique circulaire par opposition au modèle linéaire dominant, qui consisterait à produire des biens et services de manière durable en limitant la consommation et le gaspillage, est un modèle doté d’une vision systémique et innovante que l’Algérie devrait, selon moi, cibler en matière de politique de développement.