« Les mutations du système éducatif dans les pays du Conseil de Coopération du Golfe » – Entretien avec Faisal Aminollah, Auteur de l’ouvrage, Expert Juridique et Région MENA au sein des Nations Unies
Entretien publié le 31 Mars 2020
Centre Algérien de Diplomatie Economique : Bonjour Monsieur Faisal Aminollah, pourriez-vous vous présenter auprès de nos lecteurs ?
Faisal Aminollah : Je travaille actuellement au sein des Nations Unies et plus particulièrement au Département de la Formation et de la Recherche qui vise à soutenir les Etats dans la réalisation des Objectifs de Développement Durable de l’Agenda 2030, à travers le renforcement des capacités de leurs institutions publiques.
Je suis diplômé du LL.M de Droit des Affaires Mondes Arabes et Proche-Orient de l’Ecole de Droit de la Sorbonne (EDS) et diplômé en Droit International au sein de la College of Law and Public Policy de la Hamad Bin Khalifah University au Qatar ainsi que de Langues orientale et persane au sein de l’Institut Dehkhoda à Téhéran en Iran.
J’ai exercé la fonction de juriste en arbitrage international dans la Qatar International Court and Dispute Resolution Center ainsi que celle d’expert en relations internationales auprès d’organisations et d’institutions affiliées au Conseil de Coopération des pays du Golfe (CCG) à Paris et à Genève, spécialisées dans la promotion et la mise en application des conventions internationales.
Je souhaite préciser que je m’adresse présentement en ma qualité d’auteur et indépendamment des fonctions que j’exerce.
CADE : Dans cet ouvrage vous analysez les mutations du système éducatif mis en place dans les pays du golfe Persique. Avant d’entamer le fond du sujet, pourriez-vous nous décrire l’état actuel (fonctionnel) du Conseil de coopération du Golfe ?
Faisal Aminollah : L’état actuel des pays du CCG est en grande corrélation avec les évolutions économiques de ces dernières décennies, marquées par la baisse des ressources en hydrocarbures. Celle-ci met en cause la pérennité de leurs modèles économiques, essentiellement basés sur la rente pétrolière, ainsi que la continuité de l’opulence de leurs Etat Providence.
Dans ce contexte, le rôle du CCG se concentre sur la mise en place de politiques régionales communes de transition économique ainsi que la coordination des efforts notamment législatif et réglementaire déployés par les Etats membres, à travers des réunions ministérielles, des forums internationaux, des échanges d’informations et la planification de plans d’actions stratégiques communes.
Cette coordination se manifeste concrètement à travers les plans de développement et de transitions économiques Vision mis en place par les pays du CCG, dont l’échéance de 2030 concorde avec celui de l’Agenda 2030 des Nations Unies. Elle consiste en la planification de réformes nationales sectorielles dans le domaine énergétique et économique mais aussi au sein de secteurs clés du service public tels que la santé, la culture, les droits sociaux, l’environnement et surtout l’éducation. La coordination du secteur de l’éducation est gérée par une organisation intergouvernementale au sein du CCG : le Bureau Arabe de l’Education pour les Pays du Golfe.
Pourriez-vous en quelques mots revenir sur l’évolution du système éducatif dans les pays du Golfe ?
Faisal Aminollah :L’évolution du système éducatif dans les pays du Golfe se fait en trois temps.
Le premier temps est celui de l’éducation traditionnelle. Celle-ci prend son essor durant l’Age d’or islamique, marqué par le développement du savoir et de la recherche scientifique notamment à travers la traduction des traités grecs, perses et indiens qui avaient contribué à faire de la langue arabe, la langue scientifique universelle de cette période.
La deuxième période est celle de la remise en question du modèle économique et social de l’époque et la conscientisation d’une nécessité de moderniser celui-ci notamment sur le pan éducatif. Cette période débute à partir du XVIIIème siècle à travers les premiers contacts avec les puissances économiques européennes et les idéaux des réformistes musulmans diffusés par les prédicateurs et professeurs venant d’Egypte et de Syrie, qui préconisaient un enseignement tourné vers la tekhné à savoir les arts mécaniques et la « science productive ».
Enfin, c’est réellement à partir des années 1970, période correspondant à l’indépendance de la majorité des émirats de la péninsule du Golfe persique et les premiers revenus des exploitations des hydrocarbures, que les pays de cette région vont moderniser leurs systèmes éducatifs à travers la mise en place de leurs propres politiques publiques.
CADE : Dans le second chapitre, vous évoquez l’influence du modèle européen. Comment, et en se basant sur quels éléments peut-on aujourd’hui déceler l’empreinte caractéristique de cette influence européenne ?
Faisal Aminollah : L’influence européenne se décèle tout d’abord à travers la remise en cause de l’enseignement traditionnel appelé en arabe talab al ilm (la quête de la science) et qui était marqué par la relation asymétrique entre le maitre et le disciple ainsi que la mémorisation par cœur des connaissances, ne laissant que peu de place au développement de l’esprit critique et à l’expérimentation. Cet enseignement est remis en cause à partir du XIXème siècle avec l’apparition graduelle des premières écoles modernes, ouvertes par de riches marchands de la région, commerçant avec les britanniques et dont l’enseignement était articulé autour de l’élargissement des matières enseignées notamment les mathématiques, les langues étrangères et l’économie, mais aussi autour de la discussion constructive en classe.
La seconde vague d’influence se manifeste par l’arrivée de la communauté des expatriés européens lors du développement économique de la région à partir des années 1970. Ceux-ci sont souvent anglophones et ouvrent des établissements privés dispensant des programmes académiques anglo-saxons qui deviennent réputés par leur excellence, garantissant une poursuite d’études dans les universités anglo-saxonnes avec possibilité de carrières prestigieuses à l’international. Leurs réputations est telle que les parents locaux, préfèrent alors inscrire leurs enfants dans ces établissements privés.
Face à cela, les pays du golfe sont amenés à repenser leurs modèles éducatifs en s’inspirant de ces établissements privés internationaux et vont mener des réformes éducatives en mandatant des organismes anglo-saxons dans le but d’autonomiser les établissements, moderniser leurs fonctionnements, leurs méthodes d’enseignements et leurs programmes scolaires.
CADE : Quelle a été l’importance relative des réalisations éducatives par rapport aux réformes de diversification économique ?
Faisal Aminollah : L’importance des réalisations éducatives est loin d’être relative, dans le contexte de l’économie mondialisée dont les composantes essentielles sont l’information, les nouvelles technologies et le haut niveau de compétences. Les pays du Golfe ont d’ailleurs très vite adhéré au concept anglo-saxon du Knowledge Based Economy (l’économie du savoir). Celui-ci consiste en la mise en avant de l’industrie de la connaissance, caractérisée par le développement de trois piliers que sont la recherche-développement et l’innovation, l’éducation, et les technologies de l’information et de la communication. En effet, ce modèle qui se concentre plutôt sur l’investissement dans le capital humain que dans les énergies fossiles, présente l’avantage de s’intégrer dans un processus à long terme de diversification économique avec la garantie de renforcer les capacités économiques de tous les secteurs d’activité.
CADE : Quels sont les grands axes et les points de convergence concernant les politiques éducatives dans les pays du Golfe ?
Faisal Aminollah : Les grands axes et points de convergence des politiques éducatives sont orientés par les rapports des institutions internationales tels que ceux de la Banque Mondiale et l’Agenda 2030 des Nations Unies et de son objectif 4 « Education de qualité ».
L’étude de 2017 du Bureau de l’UNESCO à Doha, effectuée en collaboration avec la Qatar Foundation, le Momentum for Education 2030, improving learning in the Gulf States, (Momentum pour l’éducation 2030, améliorer l’apprentissage dans les États du Golfe) apermis un redéploiement régional des objectifs éducatifs internationaux. Ces derniers sont intégrés au sein de plans de réformes nationales tels que Vision -précédemment mentionné- et leur mise en application à travers des plans de réformes éducatives quinquennales tels que la Education and Training Strategy au Qatar, la School Education Quality Improvment Project au Koweit ou la National Education Reform Project au Bahrain. Celles-ci ont pour vocation de réaliser 6 objectifs communs que sont :
- la création d’organismes indépendants pour assurer la qualité de l’éducation,
- le développement des NTIC (Nouvelles technologies de l’information et de la communication) et du e-learning,
- l’amélioration du programme scolaire et de la formation des professeurs,
- le renforcement de la formation technique et professionnelle,
- l’amélioration de l’enseignement supérieur et la création d’Education Hubs,
- l’amélioration de la recherche scientifique et de l’innovation.
CADE : Qu’est-ce que le concept « Education Hubs » ? Et, quel est son impact sur le système éducatif dans les pays du Golfe ?
Faisal Aminollah : L’Education Hub est un ensemble de structures de zones franches éducatives, inspiré de la Silicon valley, où se concentrent les établissements d’enseignement supérieur nationaux et internationaux les plus prestigieux, des centres de recherche et des parcs d’incubation d’entreprises.
A titre d’exemple, on peut citer l’Education City au Qatar qui se distingue par son centre de recherche en biomédical et en biotechnologies translationnelles ; la Sidra Medical Research Center au Qatar ; la King Abdulaziz University of Science and Technology en Arabie Saoudite, avec un budget de 10 milliards de dollars, spécialisée dans l’ingénierie, les mathématiques et les sciences et dont les centres de recherche sont équipés du 7ème supercalculateur mondial. Autre exemple : le complexe de l’île de Saadiyat à Abu Dhabi, entièrement dédié à la culture et au savoir, accueillant en son sein une antenne du musée du Louvre située non loin de l’Université Sorbonne Abu Dhabi.
Toutes ces infrastructures contribuent à la mise à niveau mondial du système de l’enseignement supérieur de la région mais aussi à susciter l’émergence d’un environnement propice au développement de la connaissance, de la recherche et de l’innovation, soutenant la diversification économique à travers une formation de qualité destinée aux étudiants locaux qui seront appelés à devenir d’importants cadres, décisionnaires et acteurs du renouveau de leur pays.
CADE : En prenant l’exemple du Qatar, pourrions-nous dire que son système éducatif, ainsi que son modèle économique fondé sur la connaissance sont des éléments incontournables dans la stratégie de puissance de ce pays du Golfe Persique ?
Faisal Aminollah : Le Qatar a été très précocement le pionnier et l’avant-garde de l’économie du savoir dans la région, répondant dès les années 2000 au défi de la rigidité administrative et de la mise à niveau aux normes internationales de son système éducatif. Cette stratégie de puissance se manifeste à travers la figure principale de sa réforme éducative : la Qatar Foundation. Cette fondation inscrit le développement du savoir et de la science ainsi que les valeurs humaines et le bien-être social au centre de l’essor politico-social du pays et des stratégies nationales de compétitivité économique. Celle-ci ne cesse de s’accroitre comme en témoigne l’ouverture d’une nouvelle Education hub au sein de la ville nouvelle verte Lusail City, qui aura par ailleurs vocation de contribuer à la promotion de la francophonie dans la région.
La qualité de l’enseignement du pays ne cessant de progresser dans les classements internationaux TIMSS et PISA contribue à la crédibilité du modèle éducatif qatari tout en lui permettant de soutenir, de par son aura politique et financier, les systèmes éducatifs des pays en voie de développement. Cela se manifeste plus présentement à travers le forum de réflexion annuelle de la World International Summit for Education, véritable Davos de l’éducation, réunissant les décideurs et influenceurs internationaux du secteur éducatif dans le but d’encourager les nouvelles collaborations et promouvoir les solutions novatrices et créatives aux problématiques éducatives. Ce sommet est aussi à l’initiative du Wise Prize for Education, un prix annuel destiné à récompenser une personnalité ayant contribué de manière significative au progrès de l’éducation dans le monde. Cette remise se fait souvent avec le concours des personnalités les plus influentes du monde. Ce dernier en 2015 a fait participer la première dame des Etats-Unis de l’époque Michelle Obama et la Sheykha Moza Bint Nasser al-Missned du Qatar, toutes deux très impliquées dans la défense du droit des femmes à l’éducation.
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Entretien réalisé par l’équipe du Centre Algérien de Diplomatie Economique