« Le renseignement humain à l’ère numérique » – Interview de Terry Zimmer, Auteur, Patricien et Enseignant en intelligence économique
Interview publiée le 13 Mai 2021
Centre Algérien de Diplomatie Économique : Bonjour Terry ZIMMER, pourriez-vous vous présenter auprès de nos lecteurs ?
Terry Zimmer : Merci de m’inviter à m’exprimer au sein de votre Think Tank.
J’ai 35 ans, je suis diplômé d’une Licence d’économie et de gestion d’entreprise ainsi que d’un Master en intelligence économique et communication stratégique. Je suis retourné sur les bancs de l’Université l’année dernière pour obtenir un Diplôme Universitaire de sécurité intérieure.
J’ai été durant 5 ans chargé de veille et prospective pour un centre de recherche sur le futur du monde du travail et je suis depuis 6 ans responsable intelligence économique pour une société de sécurité luxembourgeoise.
Enfin, on m’offre le grand privilège d’enseigner dans différentes universités et écoles depuis plus de 10 ans.
CADE : Vêtes l’auteur du livre intitulé : « Le renseignement humain à l’ère numérique ». Quelles en sont les idées centrales ?
Terry Zimmer : L’idée d’écrire ce livre est partie d’un double constat simple.
D’un côté, l’enseignement de certains fondamentaux notamment sur les interactions humaines est un peu négligé, de l’autre, nous plaçons parfois, voire souvent, beaucoup de foi en la technologie et en l’outil. Ces deux travers ont d’ailleurs tendance à s’alimenter l’un l’autre.
Nous pouvons le remarquer, par exemple, durant notre scolarité où du collège jusqu’à la fin de nos études, il nous est montré régulièrement comment faire une requête sur Google pour obtenir une information. Il nous est montré beaucoup plus rarement comment dire bonjour, comment écrire un mail ou passer un coup de fil, poser de bonnes questions pour obtenir de bonnes réponses.
C’est l’idée de ce livre : donner à réfléchir sur le fait de se connaitre, connaitre l’autre, connaitre l’environnement informationnel et technologique contemporain pour comprendre les forces et les faiblesses de chacun et articuler le tout au mieux.
CADE : Peut-on dire qu’à travers votre ouvrage vous développez une approche du renseignement humain inspirée du domaine militaire pour être appliquée dans le monde civil ?
Terry Zimmer : Il est vrai que lorsque Christophe Deschamps, notre enseignant en master il y a 12 ans, nous a donné comme projet de groupe de créer et animer un site sur le thème du renseignement humain, tout ce qu’on pouvait lire lorsque nous faisions des recherches concernait le domaine du renseignement étatique ou le domaine militaire. C’est dans les vieux manuels militaires français, américains, soviétiques, … disponibles en ligne, dans quelques articles et livres que nous avons assimilé les fondamentaux du renseignement humain.
Bien sûr, ces fondamentaux ne pouvaient pas s’appliquer tels quels, il ne s’agissait pas de faire du renseignement humain comme un agent traitant de la Stasi en RDA durant la guerre froide.
Il nous est apparu rapidement, en couplant ces fondamentaux à nos cours où nous voyions le cycle du renseignement, les méthodes d’analyse, les techniques d’influences et d’élicitation, la tactique-réseau, …, que ces fondamentaux pouvaient être digérés et « appliqués » dans le monde civil privé et l’environnement informationnel contemporain.
De plus, les gens commençaient à investir largement les réseaux sociaux qui devenaient à la fois une source d’information formidable mais aussi un outil relationnel puissant. Nous parlions de renseignement humain « augmenté ».
Aujourd’hui, il n’est plus rare de lire des articles qui parlent de « HUMINT 2.0 », de « cyber-HUMINT », de « virtual-HUMINT », …
Le sujet est en train de s’émanciper de la stricte sphère militaire ou étatique. On le retrouve beaucoup dans le domaine de la cybersécurité mais son champ d’application est bien plus riche et plus large.
CADE : Vous dites qu’il est nécessaire de replacer l’humain au cœur de l’intelligence économique et être le maître, non pas l’esclave de l’outil. Pourriez-vous développer ces propos en explicitant ce que cela implique en termes d’approche et de réflexion sur le futur de l’intelligence économique ?
Terry Zimmer : C’est un vaste sujet que je pourrai à peine effleurer dans cette réponse.
J’ai arrêté d’employer le terme renseignement humain « augmenté » car plus je creuse ce sujet et plus je trouve (mais ce n’est que mon opinion) que l’enjeu n’est plus de se réjouir de l’augmentation mais de s’inquiéter de la diminution.
À la volée :
- Certaines personnes émettent des craintes de perde leur courage en se sentant obligé de suivre le conseil de l’algorithme d’aide à la décision.
- Les chambres d’échos, les bulles de filtres présentent sur nos plateformes « sociales » exacerbent nos biais de confirmation et nous font perdre notre créativité.
- Les moteurs de recherche et les bases de stockage nous dispensent de solliciter notre mémoire et l’atrophie, sans parler du fait que nous sommes noyés par les données.
- La facilité que procure l’outil nous fait perdre notre autonomie et les étoiles dans les yeux qu’il nous procure nous font perdre notre esprit critique et notre intelligence.
L’outil nous rend facile des choses qui, par leur nature intrinsèque doivent être difficiles. Par exemple, avoir un vrai ami n’est pas la même chose qu’avoir 500 amis sur Facebook, tweeter n’est pas converser, chercher sur Google n’est pas réfléchir ou trouver, …
L’enjeu d’aujourd’hui est clairement de reprendre le contrôle de sa pensée et, par la même, le contrôle de son courage, de sa créativité, de sa mémoire, de son indépendance et de sa capacité à créer du lien.
CADE : Selon vous, quelles sont les raisons qui font que l’environnement informationnel soit aujourd’hui aussi difficile à décrypter ?
Terry Zimmer : Il y a 5 milliards de personnes qui ont un téléphone, une connexion Internet et donc, pour la plupart, la capacité de s’informer, de filmer, d’enregistrer, de partager.
Il y a 9 objets connectés pour un être humain et tout ce beau monde va produire, d’ici 2025, 175 zettaoctets (soit 175×10 suivi de 20 zéros octets) de données.
Les tensions géopolitiques et les conflits se multiplient et s’intensifient. L’information est devenue une arme d’influence et de manipulation entre Etats.
Nous subissons une crise sanitaire mondiale qui nous met sous pression, fait imploser un bon nombre de nos repères et nous épuise psychiquement.
Il parait complexe, dans ces conditions, que nous puissions être en mesure de décrypter quoique ce soit.
CADE : Dans une démarche de renseignement humain, quel serait le comportement idéal à adopter entre ce qui est légal et ce qui est éthique ?
Terry Zimmer : Le premier comportement à adopter est de bien connaitre les lois et les règlements appliqués à l’intelligence économique. Le Code de la propriété intellectuelle pour l’article sur la divulgation du secret de fabrique ou les articles qui concernent le droit d’auteur, le Code du commerce pour la loi sur la protection du secret des affaires, la loi informatique et liberté ainsi que le règlement général sur la protection des données, …
Pour la partie éthique, nous pouvons nous référer aux chartes éthiques qui existent dans notre secteur comme celle du syndicat français de l’intelligence économique (SYNEFIE) par exemple.
Mais venons-en au plus intéressant, ce qui est moins clair : notre positionnement éthique personnel qui nous est propre.
Il peut relever d’un questionnement philosophique, d’une introspection permanente qui se nourrit de nos parcours de vie, de nos expériences, de nos coups durs.
J’aime un extrait du Nouveau Testament sur cette question, Matthieu 10.16.
Jésus envoie ses disciples parcourir le monde et leur dit : « Je vous envoie comme des brebis parmi les loups, soyez donc intelligents-subtils-rusés comme le serpent et purs-intacts-intègres comme la colombe. »
Il n’y a rien d’antinomique à adopter ces deux comportements, bien au contraire, mais il y a un délicat équilibre à trouver. Ce dont je commence à être sûr au fil des années, c’est que la bienveillance, l’ouverture, l’intégrité, la franchise et la fiabilité sont parmi les qualités essentielles vers lesquelles tendre pour durer et amener les choses plus haut.
Cela vaut pour le renseignement humain.
CADE : Pourriez-vous nous énumérer quelques techniques informationnelles mêlant outils numériques et renseignement humain ?
Terry Zimmer : Dans l’actualité récente, nous pouvons parler de la belle opération de cyber-infiltration « Ulysse » durant laquelle un agent de la DGSI s’est fait passer pour un candidat au Jihad. Connecté et en relation avec des membres de l’Etat Islamique sur Telegram, il a contribué à déjouer un attentat en France.
Un autre exemple repris de l’actualité, que j’aime bien, est celui de Claudia Conway, fille de Kellyane Conway, ancienne conseillère du président Donald Trump.
Cette jeune femme de 15 ans est très active sur Tik Tok et n’est pas en accord politique avec Donald Trump et sa mère. Son compte est une source d’information formidable pour les journalistes sur les coulisses du pouvoir. C’est ainsi que nous avons appris que Kellyane Conway avait contracté le Covid-19 à la suite d’une réception à la Maison Blanche qui avait viré au cluster et donc à l’affaire d‘Etat.
CADE : Dans la section « À propos » sur votre profil LinkedIn vous dites : « on me donne la chance de créer une formation dédiée au renseignement humain ». Est-il possible de nous en dire davantage sur cette formation ?
Terry Zimmer : Je vous remercie de me permettre de présenter cette formation qui me tient à cœur.
L’ILERI, école supérieure de relations internationales située, à Paris et Lyon, propose une formation courte spécialisée en Renseignement Humain à l’Ere Numérique.
C’est une formation innovante, la première dispensée par un établissement public d’enseignement supérieur, en France, et spécifiquement dédiée au renseignement humain.
Elle consiste à aborder des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être qui nous semblent à la fois fondamentaux et à la fois très actuels quelle que soit notre situation, notre parcours et nos ambitions comme :
- identifier des personnes clés et échanger efficacement ;
- activer et développer un réseau relationnel ;
- collecter et qualifier des informations ;
- les analyser et les communiquer efficacement ;
- le tout de la façon la plus sûre et la plus sécurisée possible ;
- dans l’environnement juridique et cyber actuel.
Il y a 5 modules sur 60 heures de cours, le soir, en distanciel, les mardis et jeudis de mi-mai à mi-juillet avec 15 intervenants de haut niveau chacun dans leur spécialité.
Vous pouvez avoir tous les détails sur le contenu et les intervenants en suivant ce lien :
https://www.ileri.fr/certificat-specialisation-renseignement-humain-numerique/
Cette formation est ouverte à tout le monde, son prix est de 2200 euros et, dans la volonté de créer un cadre intimiste et à forte valeur humaine, nous l’avons limitée à 15 places. Je suis très agréablement surpris par la qualité des profils des inscrits. Ils sont variés, internationaux et de haut niveau. J’ai d’autant plus hâte que cette formation débute !
Interview réalisée par l’équipe du Centre Algérien de Diplomatie Économique.