La Guinée, Un partenaire stratégique fiable – Interview du Ministre-Conseiller à la Présidence, Mohamed L. Doumbouya
Interview réalisée le 26 septembre 2019
Le Centre Algérien de Diplomatie Économique : Bonjour Monsieur Mohamed L. Doumbouya, avant d’entamer le fond de l’interview, pourriez-vous vous présenter auprès de nos lecteurs ?
Mohamed L. Doumbouya : Mon nom est Mohamed Lamine Doumbouya, Docteur en économie de l’Université Lumière Lyon 2 (France), je suis présentement Ministre-Conseiller à la Présidence de la République de Guinée, en charge des relations avec les Institutions financières, du suivi des réformes des finances publiques et monétaires et de la mobilisation des financements.
Par ailleurs, je suis également enseignant-chercheur, je donne des cours au département Banque-Finance de l’Université GLC de Sonfonia (Conakry), je suis auteur de plusieurs publications, la dernière en date remonte à mai 2019, elle porte sur la réforme des finances publiques en Guinée, parue aux Édition L’Harmattan.
J’ai été Ministre du Budget de la République de Guinée (janvier 2016 – mai 2018) et enseignant à l’université Lyon 2 (France), à l’École centrale de Lyon (France), à l’université d’Ottawa (Canada) et au CEGEP de l’Outaouais (Gatineau, Canada).
CADE : Vous êtes Ministre-conseiller à la présidence de la république de la Guinée, vous étiez auparavant Ministre du budget, pourriez-vous nous parler de l’évolution de la situation économique de votre pays ?
Mohamed L. Doumbouya : Notre dernier livre (sus évoqué) dont le titre est : « Guinée, Réforme des finances publiques, Transparence budgétaire et efficacité des politiques » apporte des réponses à cette question. Les Gouvernements qui se sont succédés en Guinée, depuis 2011, se sont inscrits dans un vaste et ambitieux plan de réforme de la gouvernance économique et financière, appuyé par les institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale, Banque Africaine de développement, Union européenne et autres). Cet engagement nous a conduit, sous le leadership du Président Alpha Condé, de revoir tous les secteurs des finances publiques tant du côté de la dépense publique que du côté de la mobilisation des ressources de l’État. Des questions de qualification de la dépense publique, de redevabilité, de transparence budgétaire et de lutte contre la corruption ont été au cœur de ces réformes; parce que constituant des éléments essentiels à la bonne implémentation du nouveau Plan national de développement économique et social (PNDES), adopté en 2016.
Vous comprendrez que la nouvelle stratégie de développement de la Guinée, consignée dans ce PNDES, est axée sur la transformation structurelle de l’économie, la valorisation de capital humain, l’utilisation rationnelle des ressources naturelles et la poursuite de la réforme des institutions politiques.
Ces différentes initiatives nous ont permis d’améliorer la viabilité de notre politique budgétaire, le ratio dette/PIB est estimé à 47%, de ramener le niveau d’inflation d’environ 21% en 2011 à environ 9% où il reste stable, de réaliser entre 2016 et 2018 un niveau de croissance moyen de 9%, avec respectivement 10,8 en 2016 et 10% en 2017.
Ces performances restent toutefois fragiles dans la mesure où elles sont portées pour l’essentiel par le secteur minier. Par exemple, les taux de croissances enregistrés ci-dessus s’expliquent à plus de 50% par les bons résultats obtenus dans le secteur minier. Ce secteur est notoirement connu pour ne pas être créateur d’emplois de masse et son caractère extraverti ne facilite pas la diversification de l’économie. Or, nous avons besoin d’activités génératrices d’emplois et de revenus pour ces nombreux jeunes guinéens demandeurs d’emplois, ceci nous aiderait à tirer pleinement profit du dividende démographique national. La bourse de sous-traitance mise en place par le Gouvernement doit permettre à terme de mieux intégrer les sociétés minières opérant localement dans le dispositif économique d’ensemble.
Nous avons aussi besoin de promouvoir l’industrialisation, particulièrement dans le secteur agricole où nous disposons d’importants avantages comparatifs. Plus de 60% de notre main d’œuvre active exerce dans ce secteur ; donc développer celui-ci aidera non seulement à lutter contre la pauvreté mais aussi à intensifier la diversification de l’économie nationale. Ceci participera aussi à la réduction du chômage.
Par ailleurs, la finalisation du barrage de Souapiti (450MW), en plus du barrage de kaléta (240MW) opérationnalisé en 2015, doit nous permettre de réduire les coûts de production de l’énergie pour nos industries. Les initiatives présidentielles de promotion de l’agro-business et de soutiens financiers et techniques aux zones rurales viennent contribuer à la transformation structurelle amorcée par notre économie. Cette inclusion économique sacre le renouveau de nos politiques sectorielles, elle participe à sa résilience.
Pour finir, je dirai que notre économie se porte de mieux en mieux, le défi majeur demeure le reflet de ces performances sur le bien-être des populations. La révision de nos politiques sectorielles et la poursuite des réformes dans la gouvernance administrative doivent nous permettre d’aller à terme vers des niveaux de croissance de qualité, c’est-à-dire des croissances fortes, durables, diversifiées et inclusives.
CADE : En dehors des partenariats économiques traditionnels, la Guinée construit des relations économiques nouvelles, je pense par exemple au Canada dans le secteur minier et la Chine dans le secteur de l’énergie (construction de barrages pour la production de l’électricité). Est-ce que cela s’inscrit dans une stratégie de diversification de l’économie ou Plutôt un plan de développement à long terme ?
Mohamed L. Doumbouya : Je dirai les deux. La Guinée est connue pour la qualité et la quantité de ses ressources minières. On la qualifie même de scandale géologique. Mais, comme je le disais tantôt, notre économie reste fragile tant qu’elle se nourrit de la rente minière. Nous ne contrôlons pas les cours des matières premières que nous exportons. Et, en attendant de pouvoir le faire un jour, du moins je l’espère, il nous faut exploiter les autres opportunités qu’offre le pays. Dans cette optique, l’agriculture et l’énergie constituent des options de choix.
Notre approche est d’utiliser les ressources minières pour développer les autres secteurs et améliorer la disponibilité de nos infrastructures socio-productives. Le Gouvernement investit intensément dans la réalisation des barrages hydroélectriques à la fois pour asseoir notre indépendance énergétique durable mais aussi pour en faire une matière exportable chez nos voisins. Certains barrages sont à multi-usages, c’est-à-dire qu’en plus de la production d’énergie, ils permettent d’irriguer des plaines agricoles entières en Guinée et chez nos voisins, et rendent navigables certains de nos fleuves. C’est le cas du barrage de foumi d’une capacité de 90kw. Nous avons plus d’une vingtaine de projets de construction de barrages hydroélectriques pour les dix ans à venir sur les 1 165 cours d’eau répertoriés sur le territoire national.
Notre stratégie de développement, reflétant la vision du Président de la République, est d’aller vers l’industrialisation. Nous voulons transformer localement nos matières premières, nos produits agricoles et développer des couloirs commerciaux avec tous les acteurs avec qui nous partageons des intérêts communs.
Tous les pays sont bienvenus en Guinée pour y développer les affaires. Vous ne citez que le Canada et la Chine mais nous avons aussi des investissements émiratis, des anglais, des américains, des français et des australiens. Au niveau du continent, je peux citer le Maroc, l’Afrique du Sud et peut-être le Nigéria. Nous espérons enregistrer très bientôt l’arrivée des investisseurs algériens. La Guinée est ouverte pour les affaires et les réformes dans l’environnement des affaires visent à faciliter l’implantation de tous ceux qui veulent y développer des affaires.
Donc, oui à la volonté de diversification de l’économie et des partenaires économiques, dans un cadre stratégique de développement durable.
CADE : Vous êtes par ailleurs un professionnel de recherche dans le centre de recherche en intelligence territoriale au Canada, vous avez travaillé sur l’élaboration du portrait du système d’innovation québécois. Comment peut-on faire bénéficier les pays africains de cette expérience ?
Mohamed L. Doumbouya : J’ai servi en effet au CERTIT (Centre de recherche en intelligence territoriale) sis au CEGEP de l’Outaouais en tant qu’enseignant-chercheur. J’y ai contribué aux réflexions portant sur l’intelligence territoriale au Québec, particulièrement dans la région de l’Outaouais. Au Québec, il a été constaté que certains territoires sont à la fois affectés par le dépeuplement et la délocalisation des entreprises dont la conséquence immédiate est la destruction d’emplois et la baisse de la dynamique économique dans ces localités.
Notre mission était de faire revivre ces zones, proposer des solutions pour endiguer ou prévenir des phénomènes. Autrement dit, il s’agissait de réunir toutes les informations sur ces territoires, qu’elles soient à caractère social, environnemental ou économique, les analyser et proposer des solutions favorables à une vie harmonieuse et à la venue de nouveaux acteurs qui participeront à l’intensification de la vie du territoire. C’est à ce niveau que l’innovation trouve toute son importance.
Dépendamment de l’objectif visé, puisque le concept d’intelligence territoriale peut renfermer beaucoup de choses, on peut envisager d’attirer les entreprises dans des clusters industriels, des pôles de compétitivité; on peut créer des villes intelligentes et inclusives avec des systèmes de communication et d’information conçus et adaptés aux besoins des usagers. C’est tout le système d’administration du territoire qui est en cause et les solutions apportées relèvent du développement de proximité.
Nous pouvons adopter les mêmes approches dans les pays africains, en tenant compte des caractéristiques propres aux territoires. Le facteur numérique nous en offre l’opportunité. Il nous permet d’améliorer la productivité des facteurs et de surmonter les contraintes géographiques qui éloignent nos territoires les uns des autres. Tout territoire peut aujourd’hui être mis en valeur, pourvue qu’il se procure des infrastructures numériques. Si nous (pays africains) sommes prêts à corriger fondamentalement la gouvernance administrative de nos territoires, à améliorer et stabiliser les environnements des affaires, et à sécuriser les personnes et leurs biens, alors nous pouvons pleinement nous approprier de ces expériences et valoriser nos territoires.
L’innovation peut aider les pays africains, en dépit de leurs faibles dotations en ressources financières et humaines, à partir des visions clairement définies et collectivement adoptées, à avancer vite et bien.
Nous pouvons y arriver en travaillant en faveur de l’inclusion socioéconomique et politique dans un contexte d’autonomie (politique et financière) renforcée. Je finis en disant que les transformations digitales en cours sur le continent sont un atout important pour le développement de nos territoires, c’est pourquoi toutes les stratégies de croissance de nos économies sur le long terme se doivent d’intégrer le facteur numérique.
CADE : Pour conclure, comment voyez-vous l’évolution des différents partenariats stratégiques internationaux de la Guinée et avec quels pays ?
Mohamed L. Doumbouya : Nous avons comme tous les pays au monde des pays amis avec qui nous avons des partenariats privilégiés, dûment et mutuellement choisis, mais la Guinée reste ouverte à tous ceux qui veulent y faire du business. En plus des mines et de l’énergie, nous avons besoin aussi de partenariats pour développer le capital humain, l’agro-business et les infrastructures.
La stratégie de développement sur le long terme, relevant de la vision 2040 de la Guinée, que le Président de la République s’évertue à mettre en œuvre, est de renforcer la diversification de l’économie nationale, de promouvoir l’industrialisation surtout du secteur agricole afin que nos productions soient localement transformées, c’est ce qui nous permettra d’intégrer nos jeunes dans les différentes chaînes de valeur et de maîtriser dans le temps les déséquilibres macroéconomiques.
Les facilités de mouvement des capitaux et des marchandises permises par la nouvelle Zone de libre échange du continent africain (ZLECAf) constituent un atout pour rapprocher les économies du continent. Nous espérons qu’elle incitera des entreprises du continent, dont celles de l’Algérie, à interagir avec les acteurs économiques guinéens.
Interview réalisée par l’équipe du Centre Algérien de Diplomatie Économique .