Maîtrisez Internet…avant qu’internet ne vous maîtrise ! Interview de Jérôme Bondu, Directeur d’Inter-Ligere Consulting

Entretien publié le 12 Décembre 2022

Centre Algérien de Diplomatie Économique : Bonjour Jérôme Bondu, pourriez-vous vous présenter auprès de nos lecteurs ?

.

Jérôme Bondu : Avant tout merci pour cette interview. J’ai eu le plaisir de me rendre cinq fois en Algérie pour animer des conférences et des formations sur l’intelligence économique. Ça a été à chaque fois un plaisir de découvrir Alger.

Je suis directeur du cabinet de conseil en intelligence économique « www.inter-ligere.fr ». J’assure des prestations de conseil en organisation de système de veille, de réalisation d’études, et d’animation de formation. En parallèle, j’anime le Club IES (club intelligence économique et stratégique) réseau informel de professionnels de l’intelligence économique. Les réunions sont de plus en plus en ligne et les auditeurs viennent du monde entier. Et enfin, je suis auteur de trois livres, dont « Maîtrisez internet avant qu’internet de vous maîtrise » et plus récemment du « Petit bestiaire de la gestion des informations ».

.

CADE : Vous avez publié la deuxième édition de votre livre intitulée : « Maîtrisez Internet…avant qu’internet ne vous maîtrise ! ». Pourquoi avoir choisi ce titre ? Et, que représente le deuxième tome par rapport au premier ?

.

Jérôme Bondu : J’ai fait une réédition, car la première version était épuisée. Le contenu est relativement similaire.

Pourquoi ce titre ? Par ce que j’ai voulu mettre en avant le fait que nous ne maîtrisons pas internet ! Et je parle en connaissance de cause : Je forme régulièrement des collaborateurs dans les organisations : des veilleurs, analystes, manageurs, quelques soient les directions (marketing, communication, commerciale, ressources humaines, achats …). Je forme aussi des étudiants en écoles de commerce et d’ingénieurs. Je sensibilise enfin des chefs d’entreprises, notamment au travers de l’APM (Association pour le Progrès du Management). Et l’expérience prouve que les techniques de recherche, de veille, d’analyse, de diffusion, d’influence et de sécurité informationnelle sont très peu connues. C’est un peu comme si nous pouvions conduire sans avoir le permis. Évidemment, sur internet il n’y a pas d’accidentés de la route. Donc le parallèle à ses limites. Néanmoins, on peut arguer qu’il y a des accidentés de l’information : surinformation, infobésité, infox (ou fakenews), complotisme … tout cela représente des morts cérébraux. Mon livre a pour but d’offrir un code de la route numérique, et une maîtrise informationnelle.

.

CADE : Quel type de public ciblez-vous à travers le contenu de votre livre ?

.

Jérôme Bondu : Je vise le public des internautes entre 7 et 117 ans 😉 Soit un large public ! Plus sérieusement, j’ai écrit un livre facilement lisible, avec des conseils opérationnels. J’y présente autant des outils, des conseils que des méthodologies. À force d’enseigner ces matières dans mes formations, j’ai affuté mes manières de présenter ces sujets. Le danger est d’avoir un langage compliqué lorsque les concepts sont simples et applicables dans toutes les dimensions de la vie : personnelle et entrepreneuriale.

.

CADE : Pourquoi devrait-on apprendre à rechercher l’information sur Internet ?

.

Jérôme Bondu : Parce qu’il en va de la pérennité de notre modèle de vie. Le numérique n’est pas une chose en dehors de la vraie vie. On ne peut pas opposer les deux. Le numérique rentre profondément dans notre vie réelle : nos amis sont sur les médias sociaux, nous faisons nos courses en ligne, nous nous renseignons en ligne et construisons notre opinion des politiques sur les médias sociaux… Il est donc essentiel d’apprendre à bien rechercher des informations pour être un meilleur citoyen, collaborateur, parent…

Ne pas maîtriser les techniques de recherche d’information revient à se laisser influencer par les outils que nous utilisons. Car il ne faut pas se leurrer, les outils numériques ne sont pas des objets neutres ou inertes. Ils collectent des informations sur nous. Ils nous apportent une information contextualisée, personnalisée. Ils dépendent d’une idéologie, celle de leurs concepteurs. Comme l’a dit Lawrence Lessing « code is law » que l’on pourrait développer de la manière suivante : le code informatique créé les normes.

.

CADE : Quelles sont les différentes sources dans la recherche d’informations ?

.

Jérôme Bondu : Google a une situation monopolistique dans pratiquement tous les pays du monde. La première des sources alternatives réside dans l’utilisation de plusieurs moteurs de recherche. Même si Qwant s’appuie sur le moteur américain Bing (qui appartient à Microsoft) on peut l’utiliser pour des recherches simples. Lilo ou Ecosia apporteront en plus la satisfaction de promouvoir des projets écologiques (notez qu’ils s’appuient aussi sur Bing). Si l’on veut un anonymat presque parfait, on pourra télécharger le navigateur Tor qui utilise le moteur de recherche DuckDuckGo.

Au-delà des moteurs de recherche vient la question des sources d’information. On pourra multiplier les sources d’obédience différentes. Suivre dans les médias sociaux des profils aux opinions divergentes pour se prémunir d’une pensée unique.

On pourra aussi s’abonner à des bases professionnelles (en fonction de nos moyens), et continuer à lire la presse et des livres.

Enfin, on pourra cultiver son réseau relationnel pour avoir dans son cercle d’information des personnes de tous les horizons pour éviter de s’enfermer dans une pensée unique et biaisée.

On le voit, les bonnes pratiques résident dans la multiplication des sources.

.

CADE : Peut-on lutter contre l’hégémonie des GAFAM ? Si oui, par quels moyens ?

.

Jérôme Bondu : Oui bien sûr et il le faut. C’est un devoir civique pour créer un monde numérique plus libre, et qui préserve la liberté de penser.

Par quels moyens ? Outre la multiplication des moteurs, on pourra multiplier les navigateurs pour ne pas s’enfermer dans une solution unique. On pourra privilégier Firefox qui est plus respectueux des données personnelles.

Pour les médias sociaux, l’hégémonie du trio Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp), LinkedIn, Twitter est telle que les outils alternatifs ont du mal à émerger. Mais tester Mastodon en parallèle de Twitter est une bonne idée. On peut regretter la mort de Viadeo qui aurait pu être une alternative à LinkedIn.

Pour les systèmes d’exploitation sur ordinateur, on pourra se faire un dual boot avec Linux. Pour son téléphone, j’utilise personnellement la solution Murena (anciennement E-fondation) qui utilise une version open source d’Android (donc pas celle de Google).

On le voit, les solutions abondent. Il faut juste se donner le courage de s’y mettre. Comme disent les tenants des logiciels libres « la route est longue, mais la voie est libre » !

.

CADE : Qu’apportent les révolutions technologiques du type big data et intelligence artificielle à la pratique de la veille ou de la recherche informationnelle ?

.

Jérôme Bondu : Les outils de recherche et de veille qui utilisent l’intelligence artificielle ne sont pas encore très nombreux. Des solutions émergent pour la recherche d’information, comme Geotrend qui propose des représentations cartographiques des résultats. Pour la veille, vous avez des solutions comme Keen ou Flint. Parallèlement les plateformes de veille professionnelles intègrent des briques d’IA. Mais tout cela est payant. Ce qui est bien normal, car « quand c’est gratuit c’est toi le produit ». En payant une solution, on participe à sa pérennité en plus de permettre un modèle économique qui n’est pas basé sur la revente des données des utilisateurs.

.

CADE : Quels sont les éléments clés devant être maîtrisés afin de créer une vraie dynamique de veille au sein de l’entreprise ?

.

Jérôme Bondu : Il y en a plusieurs. D’abord et avant tout, bien comprendre les besoins informationnels de l’organisation. Cela débouche sur la définition des axes de veille, d’un plan de veille, avec des sources pertinentes, des mots clés à surveiller, des clients internes, des modes de diffusion des informations.

Ensuite, il s’agira de choisir un outil adapté et de le paramétrer.

Lorsque ces deux prérequis sont réalisés, on pourra commencer à diffuser des informations à valeur ajoutée. Il vaut mieux commencer doucement, mais sûrement, pour ne pas créer de la frustration ou de la dissatisfaction.

L’étape suivante est plus organisationnelle : on pourra essayer de se faire connaitre dans l’organisation, travailler au marketing et à la communication de son activité. Il convient d’adapter l’activité de veille à la culture, à la structure et aux besoins de l’organisation.

Tout cela demande des qualités complémentaires : compétences techniques, relationnelles, analyse… Le veilleur est un mouton à cinq pattes.

.

CADE : Pour finir, qu’est-ce que la surveillance généralisée ? Et comment s’en protéger ?

.

Jérôme Bondu : Shoshana Zuboff a été une des premières à expliquer que le numérique a créé un nouveau capitalisme de surveillance. Son livre et sa démonstration font froid dans le dos. Elle explique que tous les outils numériques ont tous peu ou prou comme modèle économique la collecte de nos informations. Nos doubles numériques, analysés avec des solutions d’intelligence artificielle, servent à tester de nouveaux modèles économiques. Les GAFAM (ou désormais les MAMAA pour Meta, Alphabet, Microsoft, Apple, Amazon) ont pour objectif de reformater l’information mondiale à leur profit. À nous de travailler à un modèle alternatif et qui correspond aux valeurs des Lumières, de la liberté d’expression et de l’épanouissement humain. Comme l’a dit Gérald Bronner, nous sommes face à une révolution cognitive passionnante.

.

Entretien réalisé par l’équipe du Centre Algérien de Diplomatie Economique.

Please follow and like us:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Social media & sharing icons powered by UltimatelySocial
RSS
YouTube
LinkedIn
LinkedIn
Share
Instagram