Le tourisme en Algérie : un voyage, une riwaya ! Entretien avec Sofiane Lesage, Fondateur de Riwaya-Travel

Entretien publié le 27 Décembre 2022

Centre Algérien de Diplomatie Economique : Bonjour Sofiane Lesage, pourriez-vous vous présenter auprès de nos lecteurs ?

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Sofiane Lesage : J’ai 28 ans, ayant deux frères plus âgés, je suis le dernier né d’un père français et d’une mère algérienne. Ma famille paternelle est issue de la haute bourgeoisie française, ce qui n’est pas tout à fait le cas de ma mère qui elle provient d’une famille modeste d’Algérie du coté d’Aïn Oulmène, une petite ville située dans la wilaya de Sétif. Mon père, qui était professeur d’anglais à la Sorbonne, a quitté sa vie de bourgeoisie pour se marier avec ma mère qui est arrivée en France pour entamer des études universitaires.

Je suis né en France, et à mes deux ans je suis parti pour l’Algérie, où j’y ai vécu un certain nombre d’années, jusqu’à mes dix ans, et c’est la raison pour laquelle je maitrise le dialecte algérien de manière aussi fluide.

De retour en France, j’ai fait collège et lycée en banlieue parisienne. A l’issue d’un baccalauréat obtenu avec mention, j’ai fait une licence en langues étrangères appliquées en anglais et arabe littéraire à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3. Par la suite, je me suis passionné pour le droit, c’est alors que j’ai entrepris de faire une licence à l’Université Paris-Panthéon-Assas. Ayant obtenu ma licence, j’ai préparé mon concours pour les grandes écoles de commerce, ainsi j’ai été admis dans l’une des plus prestigieuses de France et même d’Europe, l’ESCP Business School.

Dans mes années d’étudiant, j’ai effectué de nombreux voyages dans beaucoup de pays dans le monde, étant donné que j’en ai visité environ une cinquantaine. Le fait d’avoir autant voyager m’a fait prendre conscience d’un certain nombre de facteurs clés dans le tourisme en général et des attentes en matière de prestation, de qualité et de prix plus particulièrement. Toutes ces années à voyager et mes connaissances en commerce et en entrepreneuriat, je les mets aujourd’hui à contribution pour le développement du tourisme en Algérie à travers ma Startup Riwaya-Travel (www.riwaya-travel.com).

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CADE : Que représente pour vous le terme Riwaya dans le cadre de votre concept Riwaya-Travel ?

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Sofiane Lesage : Riwaya est un terme qui n’est pas anodin, car j’ai souhaité par ce choix de mot arabiser mon concept.

À la différence des autres pays que j’ai visité par le passé, quand tu te rends dans les cafés algériens tu peux y croiser des individus pouvant te raconter l’histoire de l’endroit où l’on se trouve durant des heures sans que tu puisses t’en lasser, et c’est cela entre autres ce que m’évoque le terme riwaya.

Tout le monde pense que le plus gros potentiel touristique en Algérie c’est son Sahara (le désert algérien). C’est sans doute vrai pour beaucoup ! mais il y a dans les autres régions une richesse encore plus grande à mon sens et c’est le peuple en lui-même et tout ce qui en émane sous forme de culture traditionnelle ; La Kabylie, les Aurès, l’Algérois, les Hauts plateaux mais également la vallée du Mzab, le Gourara, le Hoggar, la Saoura, l’Oranie, qui sont chacune des régions avec des caractéristiques culturelles et parfois de langue spécifiques. L’Algérie est sans nul doute une source d’inspiration inépuisable pour différents arts qui ont tenté de s’inspirer certes des sites majestueux qu’elle offre mais aussi des multiples facettes que reflète sa population. C’est la raison pour laquelle certains arts traditionnels à l’image de la musique algérienne se distingue par la diversité des genres musicaux et par son riche répertoire compilé sur des siècles d’échanges interculturels de par sa position de carrefour géographique. Et là, je pense aux trois grandes écoles de musique andalouse : Constantine (malouf), Alger (haouzi), Tlemcen (gharnata). Mais aussi à des genres musicaux modernes comme le Raï algérien, lequel est entré en ce mois de décembre au patrimoine mondial de l’Unesco.

Toutes ces raisons font que « L’Algérie n’est pas seulement un pays qui se visite, c’est surtout une histoire qui se raconte. »

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CADE : Selon vous, qu’est ce qui fait que l’Algérie soit considérée comme une destination touristique sous-exploitée ?

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Sofiane Lesage : Les chiffres démontrent bien que les efforts consentis peinent à faire décoller le secteur touristique. Si on se réfère à l’annuaire des statistiques sur le tourisme, considéré comme un recueil de statistiques et fichiers de données de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), on a pour l’année 2019 (année prépandémique) le chiffre de 2 371 000 représentant le nombre d’arrivées en Algérie, mais il faut savoir que ce chiffre inclut entre autres la diaspora donc il est fortement à nuancer.

Les investisseurs directs étrangers (IDE) représentent une deuxième lacune faisant de l’Algérie une destination touristique sous-exploitée. Dans le tourisme comme dans les autres secteurs d’activité, les IDE sont fondamentaux, et c’est la raison pour laquelle l’Algérie devra y constituer une plateforme ouverte à une diversité d’acteurs pour soutenir et promouvoir les investissements. Le Secrétaire général de l’OMT, Zurab Pololikashvili, ayant déclaré : « Des investissements bien ciblés peuvent stimuler l’entrepreneuriat, créer des emplois et favoriser la transformation verte du tourisme, en Afrique et partout dans le monde. L’OMT est attachée à promouvoir et à renforcer les investissements dans le tourisme, pour profiter du potentiel que possède le secteur d’être un moteur du redressement et porteur d’opportunités pour tous.».

Au-delà des données chiffrées et de l’investissement, il y a également l’image et la réputation des algériens sur la scène internationale qui doivent être préservées et développées notamment par une stratégie de softpower, et cela inclut bien évidemment la mise en place d’une communication d’influence permettant de bâtir une identité qui nous distingue et qui montre la spécificité des algériens, la façon dont nous contribuons au développement de notre propre territoire et de perfectionner l’image que cela renvoie en dehors de nos frontières. Car à mon sens et au travers de mon propre vécu, l’Algérien est un Être d’exception, qui est capable de t’accueillir à bras ouverts, de t’inviter à sa table dans un moment de partage convivial, et c’est ces qualités humaines distinctives qu’il faudra mettre en avant aux yeux du monde. Je finirai en disant ceci ; afin d’attirer les touristes et les investisseurs étrangers, l’Algérie doit travailler davantage sa marque nationale et surtout communiquer autour d’elle.

Un troisième point qui fait que l’Algérie est considérée comme une destination touristique sous-exploitée, c’est le manque d’infrastructures. Mais j’aimerais nuancer ce propos en avançant le fait que depuis quelques années l’initiative a été prise par les acteurs concernés sous la tutelle du Ministère du Tourisme et de l’Artisanat et par extension de l’appareil d’Etat algérien au regard de l’importance conférée à ce secteur d’activité de remédier au manque d’infrastructures adaptées nécessaires à la création d’une base solide pour assoir durablement le tourisme algérien à l’image des nombreux hôtels en construction. Aujourd’hui, il y a une vraie dynamique du tourisme qui commence à se développer.

Cela étant dit, chez Riwaya-Travel on a la capacité mais aussi l’agilité pour évoluer dans des environnements en mutation. Par exemple, le manque d’établissements de restauration peut être pallié par des idées alternatives comme l’organisation de repas chez les habitants. Des techniques de contournement existent bel et bien, il suffit juste de savoir utiliser ses propres capacités créatives.

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CADE : Quels sont vos trois ingrédients indispensables pouvant faire de l’Algérie une destination touristique attractive ?

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Sofiane Lesage : Pour moi, le premier c’est la diaspora. Et la diaspora dans tous les sens. Cela sous-tend entre autres un potentiel commercial et un potentiel en termes d’investissement ;

Le potentiel commercial : si on prend la diaspora présente sur le territoire français qui est la plus importante, un individu s’il arrive à convaincre cinq touristes français de partir en Algérie, multiplier par les trois millions d’algériens en France, ça nous fait déjà quinze millions de touristes, et en y ajoutant les autres pays incluant une immigration algérienne, ce chiffre augmentera de manière importante. C’est pour cela que la diaspora représente un atout indéniable.

Le potentiel en investissement : Tout algérien est fier de sa région et de son pays par extension. En ce qui concerne les algériens de la diaspora, pour beaucoup d’entre eux s’ils jugent que certaines conditions (législation, bureaucratie, sécurité, …) sont réunies, ils n’hésiteront pas à investir et même pour certain à rentrer définitivement dans leur pays d’origine. À titre d’exemple, il peut y avoir des algériens issus de la diaspora intéressés de construire des maisons d’hôte, ceci pourra pallier au manque d’infrastructures hotellières. Chaque algérien de l’étranger désireux d’investir en Algérie, peut démarrer avec cent mille euros, ce qui revient à dire vingt mille euros et l’accord d’une banque (d’où l’importance de développer le système bancaire en Algérie et de l’harmoniser avec le reste du monde). Au lieu d’investir dans l’immobilier en région parisienne, j’encourage cet algérien à venir dans son pays d’origine pour investir dans une maison d’hôte.

Le deuxième ingrédient, c’est le retrait de l’escorte policière qui n’a plus lieu d’être car le pays est aujourd’hui sécurisé. Moi-même, j’en ai fait l’expérience en voyageant en autocar rempli de femmes étrangères à travers plusieurs régions du pays, et je peux te dire que l’Algérie est un endroit « safe ». On peut instaurer notre propre système de sécurité sans pour autant faire appel aux forces de l’ordre.

Le troisième ingrédient est pour moi le visa électronique.

J’aurais tendance à rajouter un quatrième élément, qui est d’éviter de tomber dans le tourisme de masse. Ce n’est pas Riwaya-Travel qui choisit les profiles de touristes à cibler, c’est l’Algérie qui le fait. Cela me rappelle la fois où on a accueilli un touriste écossais en Algérie, de tous les écossais qui existent on est sans doute tombés sur le seul qui au lieu de chercher des pubs (un établissement où l’on consomme des boissons généralement alcoolisées) était plus intéressé par l’apprentissage de la danse chaoui dans la région de Biskra.

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CADE : Quelle est votre définition du tourisme écoresponsable ? Et comment peut-il être appliqué en Algérie ?

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Sofiane Lesage : Quand on parle de tourisme écoresponsable, entendons-nous bien, cela n’inclut pas le transport jusqu’en Algérie ; la grande majorité des touristes viennent par avion, un moyen de transport qui n’est pas en accord avec les règles écologiques, cela étant le propre de presque toutes les destinations touristiques. Néanmoins, quand le touriste arrive en Algérie, à ce moment-là on est en capacité de proposer une prestation écoresponsable.

Chez Riwaya-Travel l’écoresponsabilité ce n’est pas seulement l’écologie, c’est aussi le tourisme équitable ; cela se traduit par le fait de rémunérer dignement les populations locales impliquées dans le séjour touristique, qui seront en mesure d’apporter plus d’engagement, ce qui rendra leur prestation plus captivante aux yeux des touristes. Et d’un autre côté, cette rémunération posera les bases du développement d’un commerce équitable.

L’écoresponsabilité du tourisme en Algérie, peut passer par la création de labels. Cette initiative de labélisation serait du fait d’organismes spécifiques comme les syndicats professionnels. Ce label reflétant la responsabilité sociétale et écologique des acteurs économiques liés au secteur du tourisme devra faire l’objet d’un audit annuel. Il devra par ailleurs garantir la qualité et la conformité des prestations au bénéfice de leur clientèle nationale et internationale, ainsi que l’engagement et la responsabilité des prestataires à se préoccuper de l’environnement, des territoires visités et des populations d’accueil durant le voyage.

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CADE : Que représente le tourisme en tant que secteur d’activité pour l’économie Algérienne ?

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Sofiane Lesage : Pour moi, le tourisme est un secteur indispensable au développement de l’économie algérienne, et au fait que l’Algérie puisse s’imposer par une économie forte sur les plans régional et international. Voici quelques données indiquant l’importance du tourisme par rapport au PIB : En 2019 (année prés-covid), ce secteur a contribué à hauteur de 169 milliards $ à l’économie du continent, soit 7 % du PIB[1]. La part du tourisme dans le PIB algérien est de 5,7%[2], le Maroc 7%[3] et la Tunisie 13,8%[4]. Ces données chiffrées nous indiquent que l’Algérie, au vu de son potentiel touristique largement inexploité, a une marge de progression significative dans le cadre du développement de son secteur touristique. Des problématiques comme la réduction du taux de chômage peuvent être résolues avec le développement du secteur touristique, lequel sera également vecteur de diversification pour l’économie algérienne et de son émancipation de la rente en hydrocarbures. Le tourisme devra donc à l’avenir occuper une place davantage stratégique dans l’économie algérienne. En termes de politique économique, il s’agira d’encourager et de promouvoir l’investissement dans le secteur touristique par la mise en place d’un système adapté et inclusif.

Entretien réalisé par l’équipe du Centre Algérien de Diplomatie Économique.

[1] https://bit.ly/3HYRnCx

[2] https://bit.ly/3hW7JRS

[3] https://bit.ly/3jxEHIJ

[4] https://bit.ly/3vgjDsy

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