« Nouvelles leçons sur le renseignement », Interview de Philippe Hayez – Haut fonctionnaire, enseignant et spécialiste du renseignement en France

Entretien publié le 30 Aout 2021

Centre Algérien de Diplomatie Economique : Bonjour Philippe Hayez, pourriez-vous vous présenter auprès de nos lecteurs ?

Philippe Hayez : Je suis un haut-fonctionnaire français, qui a eu l’occasion au cours d’une carrière qui s’écoule maintenant sur plus de trente ans de s’intéresser à titre professionnel aux questions de défense, de diplomatie et de sécurité.

CADE : Avant la sortie de votre dernier ouvrage chez les éditions Odile Jacob, intitulé : « Nouvelles leçons sur le renseignement », co-écrit avec Jean-Claude Cousseran, vous aviez sorti deux précédents livres, en 2015 et 2017, dont les titres sont respectivement : « Renseigner les démocraties, renseigner en démocratie » et « Leçon sur le renseignement ». Existe-t-il un lien logique entre ces trois ouvrages ? Si oui, lequel ?

Philippe Hayez : Ces trois ouvrages correspondent à un enseignement que nous avons commencé il y a plus de 12 ans à assurer avec Jean-Claude COUSSERAN au profit des élèves de master de SciencesPo Paris. L’évolution du contexte politique, sécuritaire et juridique impose une actualisation que nous venons de réaliser en 2021.

CADE : Votre dernier ouvrage : « Nouvelles leçons sur le renseignement » intéresse beaucoup de spécialistes mais aussi d’amateurs du renseignement, pourriez-vous nous en exposer les idées centrales ?

Philippe Hayez : L’idée centrale de notre ouvrage, comme de notre enseignement, est que le renseignement est une arme indispensable pour tout État mais qu’elle pose des problèmes spécifiques en démocratie. Cette fonction régalienne est donc confrontée à de formidables défis d’adaptation pour préserver son efficacité et maintenir sa légitimité. Le renseignement est probablement la politique publique qui a le plus évolué en France depuis une décennie.

CADE : Pourquoi est-il important que les citoyens comprennent le rôle des services de renseignement et sachent le définir dans le cadre du processus démocratique ?

Philippe Hayez : Parce que dans chaque pays et dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, les États ont investi dans leur appareil de renseignement en leur donnant des moyens humains, financiers, techniques et juridiques. Tout en acceptant le caractère nécessairement secret de cette activité, les citoyens doivent en être informés pour pouvoir juger de l’équilibre qui s’impose dans plusieurs de ces domaines.

CADE : Comment définiriez-vous la politique de renseignement française ?

Philippe Hayez : La politique de renseignement française est désormais définie explicitement par la loi du 24 juillet 2015 sur le renseignement. Elle vise à protéger la sécurité nationale et à préserver les intérêts fondamentaux de la nation. Depuis une décennie, la France s’est dotée d’un cadre juridique et d’un dispositif de pilotage et de contrôle de cette politique, qui est adapté en permanence.

CADE : Quelle est la place de l’intelligence économique dans le renseignement d’État ?

Philippe Hayez : L’intelligence économique, qui a été promue par divers organismes publics en France depuis le milieu des années 1990, ne fait pas partie du périmètre du renseignement d’État. Celui-ci traite de la sécurité économique et du renseignement économique, dont l’organisation a été réformée en 2019. L’intelligence économique repose avant tout sur le monde de l’entreprise et du savoir.

CADE : Face à l’actualité géopolitique et aux nouveaux défis sécuritaires, est-ce que les systèmes de renseignement nationaux doivent se réorganiser et se voir allouer davantage de moyens en vue de relever ces nouveaux défis ?

Philippe Hayez : L’addition de défis sécuritaires et leur intensification justifient a priori l’effort d’investissement et d’organisation des systèmes nationaux de renseignement. Mais, celui-ci impose aussi une appréciation de leur efficience, nécessairement délicate en raison de la nature de cette activité. Il justifie aussi la mise en place de « trames de contrôle » qui varient selon les pays mais doivent fournir l’assurance aux citoyens que cet investissement s’inscrit bien dans le cadre politique, juridique et éthique national. Le renseignement est un instrument de défiance dans lequel il faut avoir confiance.

CADE : Quel est l’intérêt d’une approche comparée des politiques de renseignement dans les démocraties occidentales ?

Philippe Hayez : Comme dans toute approche comparée, le regard sur les systèmes de renseignement étrangers permet de mettre en évidence des convergences, d’identifier des différences et de découvrir des solutions utiles à des problèmes nationaux. Il ne peut y avoir de modèle unique de politique ou de communauté nationale de renseignement tant celles-ci dépendent de l’histoire nationale, du projet politique et du cadre juridico-institutionnel de chaque pays. Mais, il y a besoin maintenant d’une ingénierie des politiques du renseignement pour favoriser l’adaptation des systèmes nationaux.

CADE : Que signifie pour vous un marché commun du renseignement ?

Philippe Hayez : C’est une chimère. Il existe une coopération internationale très active en matière de renseignement, bien qu’informelle et par nature secrète. Mais, celle-ci ne s’inscrit pas dans un espace géopolitique classique, n’est pas seulement régie par des règles de nature économique et ne peut, au moins à moyen terme, faire l’objet d’une régulation centrale car le renseignement restera longtemps encore une affaire de souveraineté nationale.

CADE : Question d’actualité : En tant que spécialiste du monde arabo-musulman, quel est votre analyse de ce qui se passe en Afghanistan ?

Philippe Hayez : Je ne suis pas un spécialiste du monde arabo-musulman et le regrette bien. La chute de Kaboul est évidemment un évènement majeur de l’année sur le plan sécuritaire. Nul doute que la contribution du renseignement fera l’objet aux États-Unis d’investigations pour comprendre les raisons de cette « surprise » et surtout ce coûteux échec. À court terme et pour de nombreux États, la question des liens entre le nouveau pouvoir taliban et la nébuleuse jihadiste internationale est centrale, pas seulement pour l’Asie centrale mais pour notre espace méditerranéen. La séquence afghane concerne chaque État de cet espace.

Entretien réalisé par l’équipe du Centre Algérien de Diplomatie Économique.

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