Les économies arabes pétrolières à l’heure du Coronavirus et de l’effondrement des cours de l’or noir – Article du Dr Nassima Ouhab, Spécialiste des questions énergétiques

Article publié le 12 Mars 2020

Face à la propagation incontrôlable du Coronavirus « Covid-19 », l’économie mondiale sombre de plus en plus dans l’incertitude d’autant que bon nombre de pays ont décidé de fermer leurs frontières terrestres afin de limiter la contagion. De ce fait, par mesures préventives de précaution, plusieurs pays arabes ont été contraints à annuler d’importants évènements économiques, sportifs et religieux tels les Émirats Arabes Unis (l’Émirat de Dubaï a annulé l’exposition internationale Art-Dubaï), et l’Arabie Saoudite (annulation du Festival international du film de la mer Rouge ainsi que la suspension de la Omra)[1]. De plus, d’autres secteurs comme le commerce, le tourisme, le transport aérien et les investissements directs étrangers ont subi de plein fouet le recul de la demande mondiale globalement et de la demande chinoise particulièrement, du fait que la Chine ait été le premier pays à affronter les conséquences économiques irréversibles de cette pandémie impactant ainsi sa dynamique économique dans tous les pays dans lesquels elle opère.

        Le marché financier quant à lui ne cesse de subir des pertes considérables, principalement, celui des pays du Golfe. La bourse de ces pays, très dépendante du pétrole, a enregistré une perte de 10% à 15% notamment pour Aramco, Abu Dhabi, Dubaï et le Koweït.

L’Iran demeure le pays le plus impacté par la crise du Coronavirus, car en plus d’avoir été isolé par la communauté internationale conséquemment aux sanctions américaines découlant du retrait des USA de l’accord sur le nucléaire de 2015, l’ensemble des pays frontaliers ont fermé leurs frontières avec l’Iran pour limiter la propagation de l’épidémie. L’isolement de l’Iran a eu pour effet une dégradation accentuée de sa situation économique déjà catastrophique, alors qu’il dépend fortement de la rente pétrolière de laquelle il est privé, non seulement à cause des sanctions américaines, mais aussi du fait du repli de la demande asiatique.

       La chute relative des cours depuis l’apparition du Coronavirus a eu des effets irrémédiables sur l’ensemble des économies arabes pétrolières eu égard au poids que représente l’exportation des hydrocarbures et les revenus qu’elle génère (entre 60% et 96% du budget de l’État) dans le Produit Intérieur Brut (PIB). Parallèlement, le coût de production du pétrole moyen-oriental est l’un des moins chers au monde. La moyenne de la valeur productive par baril dans le golfe est d’environ 10 dollars, contre 25 dollars en Russie et 50 dollars aux les États-Unis, ce qui le rend plus attractif et moins couteux.

       Mais l’écroulement sans précédent des cours ce 9 mars de près de 30% à la suite de la décision de l’Arabie Saoudite de baisser le prix de son pétrole soulève à nouveau la problématique de diversification économique à l’aune des conséquences économiques irréversibles qu’engendre la dépendance à la rente pétrolière[2].

Stratégies de diversification économique prises en tenailles entre l’immobilisme des pouvoirs politiques et la guerre des prix des géants pétroliers

            Les contre-chocs pétroliers de 1986 et de 2014 à la suite desquels les cours de l’or noir se sont effondrés substantiellement devaient être des précurseurs d’une véritable dynamique économique axée sur la diversification et la productivité. Or, peu de pays arabes producteurs de pétrole ont entamé des stratégies de long terme afin de sortir de leur dépendance à la rente pétrolière comme c’est le cas des Émirats Arabes Unis, du Qatar et de Bahreïn. Les visions pluriannuelles mises en œuvre par les pays du Golfe témoignent de la réelle volonté politique de leurs dirigeants de s’affranchir de la rente pétrolière comme seule source de revenus, bien que les hydrocarbures occupent une place importante dans leur PIB, excepté l’Émirat de Dubaï qui a réduit la part des hydrocarbures en passant de de 70% dans les années soixante-dix à moins de 30% aujourd’hui.

      Pour sa part, l’Arabie Saoudite mise principalement sur la cotation boursière de l’ARAMCO, introduite en bourse il y a quelques mois, afin d’assurer la transition vers une économie moins dépendante des revenus du pétrole, en sachant que le royaume est le deuxième producteur derrière les États-Unis avec un volume journalier de près de 12 millions de barils. D’autres projets en cours tendant à libéraliser la société saoudienne et à améliorer le climat des affaires et du tourisme devraient sur le long terme faciliter la réalisation des réformes économiques entreprises par le Prince héritier Mohamed Ben Salman.       

             Du côté du Maghreb, les Plans d’ajustement structurels préconisés par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque Mondiale ayant conduit à une libéralisation limitée des économies de l’Algérie et de la Libye au milieu des années quatre-vingt-dix n’ont pas contribué au changement de la mentalité rentière prônée par les dirigeants politiques, alors que la crise économique de 1986 résultait de la chute des cours du pétrole passés de 40 dollars en 1980 à 10 dollars en 1986. Peu d’enseignements ont été tirés depuis en termes de dispositions à mettre en œuvre afin de stimuler la productivité des différents secteurs économiques. L’effondrement à nouveau des cours en 2014 (de 145 dollars en 2008 à 45 dollars en juin 2014) a entraîné la plupart des pays pétroliers dans de sérieux équilibres financiers et budgétaires. Certains ont privilégié le recours aux réserves de change pour combler leurs déficits comme c’est le cas de l’Algérie. À ce jour, aucune véritable réforme n’est adoptée, d’une part, à cause de l’atmosphère politique réticente au changement pour les uns, et d’autre part à cause du climat de guerre et d’instabilité sécuritaire pour les autres (Libye, Syrie, Irak et le Yémen).

          Cependant, la volatilité des prix constitue l’un des facteurs inhérents au changement de la conception rentière des économies arabes, non seulement parce qu’elle affecte instantanément les revenus des pays producteurs, mais aussi parce qu’elle émane souvent d’une part, de l’offre et de la demande sur le marché, d’autre part de divergence d’intérêts entre les différents acteurs, principalement, la Russie, les États-Unis et l’Arabie Saoudite. Conséquemment, l’OPEP se trouve fragilisée par les querelles internes entre ses membres, diminuant ainsi son pouvoir d’influence sur le marché.

        En effet, après une légère baisse des prix due au ralentissement de l’économie mondiale (chinoise en l’occurrence), les cours s’effondrent substantiellement ce lundi 9 mars à 29 dollars le baril, contre 47 dollars la veille. Pour cause, l’incapacité des membres de l’OPEP et la Russie de parvenir à un accord ayant pour objectif la réduction de leurs productions pétrolières de 1,7 millions de barils par jour afin de soutenir les cours. Le refus de la Russie de se plier à cette nouvelle exigence a incité l’Arabie Saoudite à augmenter sa production de 25% à compter d’avril 2020, et de décroître par conséquence le prix de son pétrole. La Russie riposte par un accroissement de sa production à plus de 11 millions de barils par jour, en sachant que le marché pétrolier est en surcapacité tandis que la demande mondiale croupit.

        Quelles que soient les éventualités futures (possible augmentation ou baisse des cours), la transition vers une économie plus productive et moins dépendante des revenus pétroliers et gaziers est un impératif systémique, car c’est tout le système économique qui dépend de la volatilité des cours de l’or noir. D’ailleurs, le FMI établit dans ses rapports des prix de stabilité budgétaire entre 80 dollars et 110 dollars pour l’ensemble des pays producteurs. Certains pays du Golfe ont intégré dans leurs budgets de 2020 un prix de référence de 45 dollars par anticipation aux revirements que pourraient avoir la guerre commerciale entre les USA et la Chine. D’autres maintiennent un seuil plus élevé en tablant sur une baisse passagère des cours.   

        En outre, il ne peut y échapper aux dirigeants des pays arabes producteurs que la performance économique engendre nécessairement la stabilité économique et sociale. Depuis 2011, une grande partie des pays arabes sont fragilisés par les soulèvements populaires et les évolutions géopolitiques régionales et internationales. Le maintien de l’ordre politique comme économique dans un monde de plus en plus hypothétique et en pleine mutation nécessite une définition claire des objectifs et des priorités socio-économiques.               


  • Nassima Ouhab-Alathamneh
  • Docteure en sciences politiques et en économie
  • Enseignante en économie à l’Université de Nanterre 
  • Spécialiste des questions énergétiques
  • Auteure de : « L’après-pétrole dans le monde arabe et musulman : de la dépendance aux stratégies alternatives », Harmattan, février 2018.

[1] AFP Ouest-France : « Coronavirus : annulations en série et chute des cours plombent les économies du Golfe », 04/03/2020, www.ouestfrance.fr

[2] OUHAB Nassima : « L’après-pétrole dans le monde arabe et musulman : de la dépendance aux stratégies alternatives », Harmattan, février 2018.

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