L’intelligence économique internationale – Entretien avec Benoît Maille, Responsable de l’intelligence économique internationale à la CCI Ile-de-France
Entretien publié le Mercredi 31 Août 2022
Centre Algérien de Diplomatie Économique : Bonjour Benoît Maille, pourriez-vous vous présenter auprès de nos lecteurs ?
.
Benoît Maille : A la Chambre de Commerce et d’Industrie Paris Ile-de-France, cela fait plus de vingt ans que je travaille à faciliter l’accès des PME à l’information business. J’ai travaillé en particulier sur les bases de données professionnelles, les prestations d’information sur mesure, la formation à la veille, les dispositifs d’intelligence économique… D’abord dans un contexte régional (Ile-de-France), puis national et international. J’ai notamment mené un certain nombre de missions en Afrique (Algérie, Cameroun, Côte d’Ivoire, Maroc, Sénégal…) mais aussi dans l’Océan indien et dans les Caraïbes. Je collabore également avec le Centre du Commerce International (ITC) pour lequel j’ai monté une formation à distance à l’intelligence économique, formation gratuite et toujours accessible[1].
.
CADE : Vous êtes le responsable de l’intelligence économique internationale à la CCI Ile-de-France. Est-il possible de nous parler de vos missions au sein de cette organisation ?
.
Benoît Maille : Notre direction a pour mission d’aider les entreprises d’Ile-de-France à se projeter à l’international. Pour ma part, j’apporte un appui informationnel à nos conseillers internationaux qui sont en contact permanent avec les entreprises. Cela se traduit par la fourniture d’informations stratégiques sur les marchés et les entreprises à l’étranger ainsi que par du transfert de savoir-faire sur les outils et techniques de l’intelligence économique. Pour vous donner un exemple, dans le cadre d’une nouvelle prestation que nous proposons, j’ai récemment aidé nos équipes à identifier puis à s’approprier les nombreuses bases de données internationales permettant de prioriser des marchés, démarche nécessaire quand une entreprise hésite entre plusieurs pays pour ses exportations. Par ailleurs, je mène des contrats d’ingénierie de veille pour des clients étrangers, principalement des Chambres de Commerce et d’Industrie (CCI), des Agences de promotion de l’exportation ou de l’investissement, des Ministères de l’Industrie.
.
CADE : Comment définissez-vous l’intelligence économique internationale ?
.
Benoît Maille : C’est un peu un pléonasme : l’intelligence économique a presque toujours une dimension internationale. Je la définirais en reprenant la formulation d’Alain Juillet : “maîtrise et la protection de l’information stratégique pertinente pour tout acteur économique”, et en l’appliquant au contexte international. Pour ma part, j’insiste plus particulièrement sur ce que j’appelle l’ “export intelligence”, c’est-à-dire le renseignement d’affaire sur les marchés et opérateurs étrangers, particulièrement en sources ouvertes qui sont plus appropriées aux contraintes des PME. Par recoupements et analyses successives, ces sources ouvertes (bases de données d’opérateurs spécialisés, data banks d’organisations internationales, open data…) éclairent fortement notre environnement d’affaires.
.
CADE : Vous semblez insister sur les PME, en quoi votre démarche d’intelligence économique est-elle adaptée à ce type d’entreprises ?
.
Benoît Maille : Par-delà les actions de sensibilisation aux enjeux de l’intelligence économique, je pense que les PME ont besoin d’une approche pragmatique plutôt que de beaux discours. C’est pour cela que j’essaie de leur apporter de la méthode et des outils, en m’appuyant principalement sur des outils abordables sur le plan technique et financier. Car les petites et moyennes entreprises ne peuvent que très difficilement accéder aux solutions les plus complexes et coûteuses. Je suis attentif à la combinaison des outils entre eux car cela permet de démultiplier leur efficacité. J’accorde également une grande importance au sourcing car il existe de nombreuses bases de données internationales qui sont très performantes mais peu connues des PME. Plutôt que de se focaliser sur les moyens déployés par les grandes entreprises en matière d’intelligence économique, il me semble que les PME peuvent s’appuyer sur l’existant, tant dans l’entreprise que dans son environnement d’affaires ; elles peuvent aussi profiter des innombrables ressources disponibles sur internet.
.
CADE : Sur le site web de la CCI Paris Ile-de-France, on peut y lire : « Maîtrisez l’information stratégique pour faciliter votre développement à l’international ». Pouvez-vous nous en dire davantage ?
.
Benoît Maille : L’information stratégique est un levier de développement et de compétitivité. Dit autrement, l’information élaborée grâce à l’intelligence économique vient alimenter la réflexion stratégique des entreprises et rendre plus aisée la mise en œuvre de cette stratégie. A l’international, l’intelligence économique aide à la compréhension des marchés étrangers et de leurs acteurs. Elle est particulièrement utile en phase initiale (choix des pays cibles, conquête des marchés) mais elle intervient aussi ultérieurement (adaptation de son mode d’implantation, diversification de son offre), ainsi qu’en gestion de crise.
.
CADE : Que pouvez-vous nous dire sur la sécurité économique des entreprises à l’international ?
.
Benoît Maille : Elle doit être prise en compte alors même que l’on n’a pas encore quitté son pays, par exemple par la défense de sa réputation sur les réseaux sociaux (e-réputation) qui, rappelons-le, sont accessibles du monde entier, à quelques exceptions près. De même, la propriété industrielle internationale peut être activée depuis son territoire national, en tout cas pour ce qui concerne le dépôt de brevets, dessins et modèles.
Avant un déplacement à l’étranger, il faut se renseigner sur les conditions locales de sécurité, noter les numéros de téléphone d’urgence et n’emporter que les documents dont on aura vraiment besoin sur place. Dans le pays d’accueil, il convient avant tout de respecter les usages et la réglementation en vigueur. Par ailleurs, il faut bien identifier ses interlocuteurs, éviter les discussions confidentielles dans les transports ou lieux publics, et garder sous surveillance son ordinateur ainsi que son smartphone.
.
CADE : Selon vous, les entreprises peuvent-elles aussi déployer des actions d’influence à l’international ?
.
Benoît Maille : Oui, c’est possible, même pour les PME. Certains moyens d’action sont à la portée de la plupart d’entre elles. Par exemple, l’usage des réseaux sociaux qui permet de promouvoir l’image de son entreprise en s’affranchissant des distances. Il est également envisageable de s’appuyer sur les réseaux publics (services économiques des ambassades) ou privés (CCI, organisations professionnelles). Mais pour compenser leur absence de moyens et leur faible poids économique, les PME auront souvent avantage à agir à plusieurs : la normalisation est un autre bon exemple à cet égard.
.
CADE : Vous avez exposé le rôle de l’intelligence économique internationale dans l’exportation mais ne contribue-t-elle pas non plus à l’attractivité des investissements étrangers ?
.
Benoît Maille : Oui, comme pour l’export, l’intelligence économique présente beaucoup d’intérêt pour la démarche d’attractivité. Elle peut, par exemple, vous aider à repérer des investisseurs potentiels, à comprendre les critères stratégiques qui comptent vraiment dans les décisions d’investissement, et même à identifier les pratiques gagnantes des meilleures organisations de promotion de l’investissement.
Pour une organisation comme la nôtre, l’intelligence économique contribue donc doublement à l’internationalisation des entreprises : pour faciliter les exportations de nos entreprises et pour mieux attirer les investissements des sociétés étrangères.
.
Entretien réalisé par l’équipe du Centre Algérien de Diplomatie Economique.
[1] Sur la SME Trade Academy de l’ITC : https://learning.intracen.org/course/info.php?id=270