«HOLLYWAR – Hollywood, arme de propagande massive» – Entretien avec Pierre Conesa, Auteur de l’ouvrage et ancien haut fonctionnaire de la république française
Interview publiée le 19 Mai 2020
Centre Algérien de Diplomatie Économique : Bonjour Pierre Conesa, pourriez-vous vous présenter auprès de nos lecteurs ?
Pierre Conesa : J’ai passé la plus grande partie de ma vie professionnelle dans la haute administration française essentiellement au Ministère de la Défense. Puis j’ai dirigé pendant dix ans une société privée d’intelligence économique. Actuellement je suis retraité et j’écris des livres et des articles. Mon sujet de prédilection est l’analyse des mécanismes de réflexion stratégique et ce que j’ai appelé « la Fabrication de l’ennemi ». UN de mes derniers livres « Docteur Saoud et Mister Djihad » est consacré à la diplomatie religieuse de l’Arabie saoudite qui a largement contribué à la diffusion du salafisme dont l’Algérie a tant souffert pendant les années noires
CADE : Vous êtes l’auteur du livre « HOLLYWAR – Hollywood, arme de propagande massive ». Comment vous est venue l’idée de cet ouvrage ?
Pierre Conesa : J’ai eu beaucoup l’occasion d’aller aux USA ces dernières années car ma fille y a travaillé pendant 4 ans. Restant une partie du temps au domicile, j’ai pas mal regardé la télévision et je me suis rendu compte de l’extraordinaire médiocrité des programmes. Notamment les films historiques, et j’ai cherché à savoir ce que l’on enseignait aux élèves américains. J’ai demandé dans une librairie à consulter des manuels scolaires et le libraire m’a dit que cela n’existait pas car il n’y a pas de ministère de l’éducation nationale dans ce pays, les programmes scolaires relevant de la compétence de chaque état. Je me suis dit que par exemple la Guerre de Sécession racontée aux élèves de Caroline du Sud et ceux de Californie ne devait pas être la même. Et je me suis rendu compte que le « récit national » américain avait été fait par le seul programme national pendant des années : la production historique hollywoodienne : 2700 westerns, 300 films sur les « arabes », 500 sur les Jaunes… cela vous fabrique une opinion publique…
Mon sujet d’analyse est le rapport à l’Autre toujours présenté dans les films comme un risque, une menace ou un ennemi à partir de stéréotypes ; Ce furent d’abord les noirs (fainéants et incultes), puis les rouges (nus et sauvages), puis les jaunes (raffinés dans la cruauté), puis les blancs allemands ou russes indétectables car blancs (naissance du film d’espionnage et la théorie du complot), et maintenant ce sont les arabes (terroristes fanatiques ou princes du désert)
CADE : Vous avez passé au crible plus de trois mille films de consommation courante ayant comme finalité de décrypter comment Hollywood, au travers de la confusion issue de l’entre deux mondes de la fiction et de la réalité, est devenue une arme de propagande massive. Serait-il possible de nous décrire ce mécanisme dans ses grandes lignes ?
Pierre Conesa : Je suis partie de l’idée que ce ne sont pas les « bons films » c’est-à-dire ceux qui nous arrivent en Europe, mais la masse des « mauvais films » qui avaient formaté l’opinion intérieure : le western si on y réfléchit posément est tout simplement la justification du génocide indien. Il a fallu plus de trente ans avant qu’Hollywood commence à produire des films critiques comme « le soldat bleu » (1970) ou « Litlle big man » (1970). La piste des larmes qui fut la grande migration forcée des nombreux peuples indiens dont les cherokees entre 1831 et 1847 marquée par une mortalité proche de 50%, n’a pas à ma connaissance donnée lieu à une superproduction hollywoodienne.
La production hollywoodienne est d’abord un instrument culturel interne. Comme l’exportation vers le reste du monde, ne concerne que les films de qualité, on a l’impression que le cinéma américain ne produit que ces derniers, c’est faux. Cela dit quand j’étais jeune à Alger et qu’on jouait aux cow-boys et aux Indiens (sic) personne ne voulait être les Indiens
CADE : Quel est l’apport de Hollywood au soft power américain ? Et comment le mesure-t-on ?
Pierre Conesa : Le soft Power est un tout et il est difficile de distinguer la part propre du cinéma. Ce qu’on peut rappeler c’est que, quand Léon Blum signe les accords Blum-Byrnes sur un prêt américain en mai 1946, une disposition spéciale prévoit l’ouverture du marché de distribution français aux films américains, accès jusque-là réglementé. C’est une véritable invasion d’autant que le cinéma français produit à ce moment des films sur la guerre, la résistance et l’occupation, alors que le cinéma américain sort des films de distraction des comédies musicales… et le public s’en réjouit.
Un sondage fait plusieurs fois avec les mêmes questions entre 1945 et 2015 montre bien l’effet du soft power : À la question : “Quelle est, selon vous, la nation qui a le plus contribué à la défaite de l’Allemagne en 1945 ?”, en mai 1945, les Français étaient 57% à désigner l’URSS, les Américains n’étant cités que par 20% des Français. En 2015, 54% des sondés répondaient les Etats-Unis. Or personne ne doute que les 20 millions de morts soviétiques et l’offensive en Europe centrale ont plus pesé que le débarquement dans la défaite de l’Allemagne. Les Américains ont perdu sur les deux théâtres d’opération autant d’hommes que les Russes dans la seule bataille de Stalingrad. Longtemps, l’URSS de Staline était, aux yeux d’une écrasante majorité, l’artisan de la défaite de l’Allemagne nazie. Dans les années 90, le jugement s’est complètement inversé. On constate ici l’effet du soft power notamment cinématographique.
CADE : Vous avez observé que Hollywood est devenue une arme de propagande capable de transformer les ennemis des États-Unis en menaces planétaires. La Chine devenant une menace pour les États-Unis, pensez-vous qu’elle constitue une cible privilégiée dans les adaptations cinématographiques hollywoodiennes ?
Pierre Conesa : Le « péril jaune », thème inventé par l’Empereur Guillaume II en 1895 pour justifier de coloniser la Chine (l’Allemagne avait du retard dans la colonisation par rapport à la GB et la France) a connu un grand succès et Hollywood s’en est emparé avec par exemple les différents films sur le docteur Fu Man Chu dès 1930 puis dans les années 60. Le stéréotype du Jaune qu’on va retrouver ensuite dans les films de la guerre du Pacifique pour décrire les Japonais, de la Corée pour les Coréens, puis les Vietnamiens sont toujours les mêmes : cruels, sans pitié, pervers… Jamais la moindre reconnaissance de la légitimité de la cause des Autres. Même les films critiques par exemple sur la guerre du Vietnam traite essentiellement de la souffrance du combattant américain loin de chez lui (voyage au bout de l‘enfer, Apocalypse now…). Par exemple dans ce dernier film, il n’y a quasiment aucun vietnamien. Petite remarque, quel que soit l’Autre le héros du film est toujours joué par un acteur blanc grimé, jamais par un « indigène » : Burt Lancaster dans Bronco Apache, Christopher Lee dans Docteur Fu Manchu, John Wayne a même joué Gengis Khan.
CADE : Est-ce qu’on peut parler de l’existence de liens directes ou indirectes entre les agences gouvernementales américaines et le milieu du divertissement dont Hollywood ? Et comment ces liaisons se manifestent-elles ?
Pierre Conesa : Non, les moments de collaboration effectives sont essentiellement les périodes de guerre où Hollywood et le Pentagone mettent en commun des moyens et des hommes. Le reste du temps la machine propagandiste vit sa propre vie pour alimenter un public qui n’a aucune appétence pour la critique et croit beaucoup au mythe du super-combattant. Un exemple : Rambo. Alors que dans Rambo 1, c’est l’ancien combattant du Vietnam déçu de l’accueil que lui réserve ses compatriotes, se fâche et, contrarié, détruit une petite ville américaine. Dans Rambo 2 il redevient combattant pour retourner au Vietnam et J’ai compté qu’il tue 67 personnes (selon un site spécialisé il y en tuerait 72). Quel ancien combattant pourrait croire à un tel mythe, ou quelle population si ce n’est celle d’un pays qui n’a jamais connu la guerre sur son territoire. Hollywood produit du cinéma de propagande mais élaboré par des scénaristes et des réalisateurs de génie qui adhèrent pour l’essentiel aux valeurs américaines.
CADE : Enfin, nous observons l’émergence de nouvelles places cinématographiques à l’image de Bollywood en Inde et de Nollywood au Nigeria. Comment percevez-vous ces nouvelles places ? Quel serait leur impact en matière d’influence (locale ou internationale) ?
Pierre Conesa : je connais mal les productions de ces nouveaux centres mais je me félicite qu’ils existent. Cela dit leurs productions parviendront-elles jusqu’aux foyers américains, je crois qu’il faudra beaucoup de temps.
Entretien réalisé par l’équipe du Centre Algérien de Diplomatie Économique.