L’eau, un enjeu majeur -Entretien avec Malek Semar, Resilient entrepreneur, Fondateur de « No Water No Us »

Entretien publié le 26 Avril 2023

Centre Algérien de Diplomatie Economique : Bonjour Malek Semar, pourriez-vous vous présenter auprès de nos lecteurs ?

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Malek Semar : Bonjour à tous. Pour certains proches j’ai eu plusieurs vies : la constante que j’y vois est la casquette d’entrepreneur résilient. Je suis né en Kabylie où j’ai grandi dans un village sans eau ni électricité. À 9 ans, j’arrive à Paris et découvre l’eau au robinet 24/7 ; trop tard mon expérience d’enfant avait ancré la valeur de la rareté.

Après un double Master, Télécoms puis Management pour l’ingénieur, je travaille 4 ans aux Antilles, comme CTO dans un institut d’études supérieures. Je rentre à Paris en 2002 pour cofonder le premier opérateur cloud pour centres de contacts et on s’étend rapidement en Europe et partout en Afrique. En parallèle, entre 2010 et 2016, l’école de la vie, m’oblige à changer de chemin, ou plutôt à trouver le mien.

En 2016, je cofonde Glob, une start-up dont l’ambition était de transformer le temps passé au volant en temps de qualité ; on atteint 4 millions d’utilisateurs dans le monde. Le risque d’aller trop vite est de se brûler les ailes ; encore une leçon.

À partir de 2017, je donne des conférences sur le monde de demain et je confonde plusieurs startups, dans des domaines qui me passionnent, comme le bien-être, la culture, le sport et l’environnement. Aux côtés de Gilles Picozzi, je siège également à l’Ordre Africain des Grandes Écoles et des Universités, ce qui me permet de garder un lien fort avec l’Afrique, via l’éducation.

En 2018, Avec France Industries Assainissement (FIA), je m’engage dans un projet industriel, aux côtés de Jacques Momeux, pour apporter des solutions soutenables aux métiers de l’eau. FIA innove avec une station de traitement des eaux usées en format container, mobile, moins chère et pensée comme un écosystème avec la valorisation de l’eau et des boues en sortie. Pour aller plus loin je passe un diplôme sur la gestion de l’eau à l’université de Genève ou je découvre que 80% des eaux usées sont rejetées dans la nature sans aucun traitement.

La cause de l’eau, comme projet de vie, devient une évidence. On lance l’association No Water No Us (NWNU) pour sensibiliser et agir pour l’eau.

Le meilleur est devant et la suite reste à écrire. Une chose est certaine, sans partage toutes nos actions perdent leur saveur et surtout leur sens avec le temps ; je suis fier de mener ces projets comme des aventures humaines et je tiens à remercier toutes les personnes qui les partagent, sans oublier ma famille. Chacun se reconnaitra (sourire).

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CADE : Peut-on dire que la gouvernance de l’eau potable représente aujourd’hui un enjeu stratégique à l’échelle planétaire ?

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Malek Semar : La gouvernance doit être mondiale et les solutions locales. En effet chaque réponse doit être adaptée localement tout en mesurant l’impact mondialement, sur toute la biodiversité, tout en intégrant les impacts du changement climatique sur la pertinence des solutions.

Vu que les solutions doivent être locales, la culture sera le lien entre la technique et la nature, on ne trouvera pas une solution uniquement technique à la gestion de l’eau, sans tenir compte des facteurs socio-culturels et des croyances de chaque communauté.

Et puis la réponse est évidente, non ? Pas d’Eau pas d’Nous ! Sans eau je ne serai pas là pour en parler et tu ne serais pas là pour m’interviewer. L’eau n’a pas de frontières, la gouvernance doit donc être mondiale car vis à vis de cette ressource nous sommes tous « frères ».

En 2010, l’Assemblée Générale de l’ONU, à travers la résolution 64/292, reconnait que « le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit de l’homme, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme ». Cela aurait pu marcher si l’eau était une fin en soi ; l’eau est un moyen pour toutes les autres voies de développement.

Les objectifs de développement durables, adoptés en 2015 par la Nations Unis vont justement dans ce sens. La même année, pour tenir ces fameux objectifs de développement durable, notamment l’accès à l’Assainissement et à l’hygiène, les ministres africains de l’eau adoptent la Déclaration de Ngor.

Nous sommes en 2023, et toujours selon l’ONU, 30% de la population mondiale n’a pas accès à l’eau salubre, 60% n’a pas d’assainissement et 80% des eaux usées sont rejetées dans la nature sans aucun traitement. Autant dire qu’il serait temps d’appliquer localement les résolutions prises mondialement.

En primaire, mes professeurs m’avaient appris que le cycle de l’eau était immuable ; ils avaient sous-estimé la capacité de l’Homme à tout perturber, même la nature. Et puis il y a plusieurs cycles de l’eau. Une chose est certaine, l’eau circule partout, dans le ciel, sur la terre et dans les mers… personne ne sera à l’abri. Un exemple alarmant est que l’eau de pluie est devenue impropre à la consommation et ce partout sur la planète. La quantité d’eau est la même depuis 4,5 milliards d’années ; nos deux enjeux sont son approvisionnement et sa qualité.

Quand on pense à l’eau, on se limite souvent à l’eau potable ; mais il ne faut pas oublier l’assainissement qui est le parent pauvre de notre relation à l’eau. Les deux vont ensemble et nous ne pouvons pas les séparer ; nous ne devons pas les séparer.

Un adage résiste dans le temps et beaucoup pensent que « la solution à la pollution est la dilution », alors on balance tout à la flotte… sauf que cela fini justement à l’autre bout du monde pour revenir ensuite. La gouvernance doit donc être mondiale.

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CADE : Qu’est-ce que le stress hydrique ? Comment y répondre ?

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Malek Semar : A l’horizon 2025, l’ONU prévoit que 38% de la population mondiale  sera exposée au stress hydrique. La crise de l’eau ou la guerre de l’eau dont les médias se font l’écho devient un enjeu géopolitique.

On parle de stress hydrique quand les ressources en eau douce disponibles sont inférieures à la demande. Il y a deux facteurs importants dans cette notion ; le lieu et le temps. C’est pour cela qu’on entend plus parler de stress hydrique dans certaines zones géographiques et/ou pendant une certaine période.

Le stress hydrique peut se mesurer en pourcentage, en faisant le rapport entre le besoin en eau et les ressources disponibles. L’indicateur de Falkenmark mesure la quantité d’eau disponible en m³ par habitant et par an. On parle de tension hydrique en dessous de 1 700, de pénurie entre 1000 et 1700 et de rareté en dessous 1 000.

Par reflexe on pense à l’Afrique, au Moyen et proche orient ou encore l’Asie quand on parle de stress hydrique ; mais, la France, comme d’autres pays européens ne seront pas épargnés. Il suffit de se rappeler les dernières canicules. Même l’actualité hivernale nous le rappelle en Europe avec les sécheresses ou encore le niveau inquiétant des nappes phréatiques alors que nous sommes en hiver.

Le meilleur moyen d’y répondre est d’adapter notre relation à l’eau et notre façon de l’utiliser comme une ressource infinie et disponible ; cela passe par la préservation des ressources notamment le traitement, la réutilisation et l’approvisionnement vers les régions qui en manquent. On revient aux deux enjeux majeurs et à la coordination planétaire

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CADE : Selon vous, comment pourrait-on améliorer le traitement des eaux usées dans le cadre de la lutte contre la raréfaction de l’eau potable ?

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Malek Semar : Le changement climatique, la croissance démographique et les processus industriels et agricoles sont très gourmands en eau. En recyclant les eaux usées, agricoles et industrielles, quasiment à l’infini, on diminue la pression sur l’eau disponible. La réutilisation des eaux usées n’est plus un choix mais la perspective.

Le mot comment est presque en trop dans le sens ou les solutions existent et sont nombreuses. Pour le comment il suffit d’une volonté politique et d’allouer les financements nécessaires.

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CADE : Est-il possible de nous parler de votre association « NoWaterNoUs » et de sa mission écologique et sociale ?

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Malek Semar : No Water No Us ou encore NWNU sensibilise et agit pour l’eau. Pour tenir le cap vers un monde plus soutenable, notre fil d’Ariane est l’Objectif de Développement Durable ODD6, à savoir l’accès à l’eau au plus grand nombre.

Nous portons 3 thématiques : l’accès à l’eau potable, à l’assainissement et l’impact du changement climatique sur le cycle de l’eau (donc la biodiversité).

Dans un monde où les inégalités n’ont jamais été aussi fortes, l’eau insalubre a des conséquences directes sur la biodiversité, sur la santé des populations et sur l’économie des pays. L’enjeu est donc sociétal, environnemental et économique.

L’art et le sport sont nos meilleurs bagages pour fédérer autour d’un monde meilleur, alors on s’appuie dessus.

Pour sensibiliser via la culture, avec Brice Kapel nous avons co-écrit « L’Eau Mais », un spectacle labellisé et joué dans le cadre de la Saison Africa 2020. Sans aucune frontière de culture, de couleur ou de croyance, « L’Eau Mais » traverse 9 pays d’Afrique et dans chaque pays, via la danse, la musique et les croyances, on aborde un enjeu lié à l’eau et son interaction avec nos activités humaines. Ce spectacle open source a vocation à devenir une plateforme pédagogique qui sera mise à disposition des écoles. D’autres actions de sensibilisation sont prévues (ateliers, conférences, une école de l’eau, un concours startup…). Dans la continuité du spectacle, notre action – Clean Water For Africa – a pour objectif l’installation de 9 stations de traitement des eaux usées en format container ; une dans chaque pays traversé par notre spectacle « L’EAU MAIS ».

Avec mes amis et associés, Blaise Matuidi et Yohan Benalouane, nous travaillons sur l’impact positif du sport pour fédérer et aider les plus démunis. Pour agir, nous menons nos propres actions et/ou nous soutenons des actions existantes autour des enjeux de l’eau. Le futur appartient à la jeunesse ; avec l’action Cycle For Water, nous sommes fiers de nos 4 ambassadeurs qui parcourent le monde à vélo pour l’eau : 15 mois, 20 pays, des conférences, des actions humanitaires et de sensibilisation et surtout l’envie de mieux comprendre l’eau et ses usages dans le monde. D’autres actions sont en cours de réflexion avec des sportifs de haut niveau qualifiés pour les JO2024 ou encore l’ascension de l’Everest. J’en profite pour faire un clin d’œil à toute la famille No Water No US, car sans l’équipe de l’Eau et nos ambassadeurs rien ne serait possible.

C’est une question de survie, l’eau doit reprendre sa place en tant que source de la vie dans les débats et pour cela chaque goutte compte. On ne peut plus regarder sans rien faire.

No Water No Us est notre goutte.

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CADE : Selon l’Institut de prospection économique en Méditerranée (Ipemed), à travers son étude intitulée «L’accès à l’eau et l’assainissement en méditerranée, les finances innovantes: solutions ou illusion?», les potentialités hydriques de l’Algérie sont atteintes de vulnérabilités. Quel est votre avis sur ce constat ?

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Malek Semar : Le constat de l’IPEMED est clair ; l’Afrique du Nord dispose de 0,1% des ressources mondiales d’eau naturelle et renouvelable et le futur n’est pas en notre faveur. Le retard dans l’assainissement est également mis en évidence. ; l’Algérie, comme le montre la carte, fait partie des pays qui seront le plus exposés.

Le retard, pour l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, aussi bien pour les eaux usées domestiques que industrielles, est tellement important qu’on est plus en situation d’essayer de limiter les dégâts que de tout régler. Si la Mer Méditerranée pouvait parler, elle nous dirait être la Mer la plus polluée du Globe avec tous nos déchets industriels et ménagers liés à nos activités humaines. Bientôt elle ne pourra plus absorber ce flot continu d’eaux usées.

Pourtant, selon l’OMS, 1€ investi dans l’eau et l’assainissement c’est 4€ générés dans l’économie du pays. L‘IPEMED fait référence au rapport GLAAS des Nations Unies qui dit qu’un meilleur accès à l’eau et à l’assainissement pourrait augmenter le PIB des Pays du Sud et de l’Est Méditerranéen de 2 à 7 %. Les investissements réalisés rapporteraient ainsi 4 à 12 fois plus qu’ils ne coûtent. Même d’un point de vue business nous sommes incohérents.

Comme le dit le rapport IPEMED, un changement de paradigme basé sur une gouvernance plus efficace et une vision stratégique de l’allocation de l’eau à ses différents usages est nécessaire.

Mon avis est que la réalité sera pire que la théorie. Les études scientifiques, basés sur des projections, mettent en avant des scénarios catastrophes. Ma crainte, quand les scientifiques feront plus d’études basées sur la réalité actuelle de l’eau, est que les scénarios soient pires. D’ailleurs certaines études commencent à aller dans ce sens.

Pour revenir à l’Algérie tout ce que je viens de dire peut être transposé. L’enjeu est mondial et peu de pays seront à l’abri si la majorité ne se met pas à niveau. Cette démarche nécessite un engagement politique très fort.

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CADE : Quelles sont vos préconisations quant à la mise en place d’actions immédiates et à plus long terme ciblant la création d’une vraie dynamique de sécurité hydrique à l’échelle de l’Algérie ?

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Malek Semar : Ce qui se passe en Algérie n’est pas différent de ce qui se passe dans le monde ; en tout cas dans les régions ou le stress hydrique va devenir de plus en plus « stressant ». Encore une fois, une volonté politique et les financements adéquats permettraient de prendre de l’avance sur le futur.

Chaque région a ses spécificités géologiques et hydrogéologiques, il faut donc traiter de manière spécifique chaque région tout en gardant en tête que l’eau n’a pas de frontières. La gymnastique est complexe mais nous n’avons pas d’autre choix que de relever ce challenge.

Une certitude, le gouvernement algérien a montré son engagement pour l’eau. Le lancement d’un projet de 16 stations d’épuration est un signe fort ; j’espère que la réutilisation des eaux usées fait partie intégrante des appels d’offres en cours.

L’Algérie a également des projets de dessalement d’eau de mer ; d’un point de vue énergétique et environnemental je ne suis pas sûr que le temps nous donne raison, même si je peux comprendre la notion de « faire face à l’urgence ». Mais j’ai du mal à m’enlever de la tête que la mort de la nature conduira avec certitude à notre mort également. Je n’ai pas la compétence pour me prononcer sur le dessalement donc je continue d’apprendre ; mais j’ai une certitude c’est que la réutilisation des eaux usées est un moyen efficace d’atténuer cette pression et également une planche de salut pour l’humanité face à la pénurie d’eau. Une réutilisation productive des eaux usées, sur le plan environnemental, prévient les dommages écologiques sur les sources d’eau. On peut aussi recharger les nappes phréatiques avec l’eau traitée.

Et puis le cycle du dessalement ne me parait pas vertueux ; on paye cher pour dessaler l’eau, on l’utilise, on la boit, pour ensuite la rejeter dans la mer et enfin la dessaler de nouveau, et ainsi de suite. Il en est de même pour la pluie, que nos canalisations transportent vers la mer à force de bétonner nos villes alors que cette dernière pourrait également recharger nos nappes phréatiques.

En résumé je dirai que la vision doit être à long terme et qu’il faut commencer à travailler de suite. Je pense que l’Algérie, avec les projets en cours, a saisi l’urgence de la situation et a le mérite de faire.

  • Le mot de la fin

« On peut se détester, l’eau nous réunira » – Malek SEMAR

Entretien réalisé par l’équipe du Centre Algérien de Diplomatie Économique.

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