« Vers la renaissance industrielle » – Entretien avec Anaïs Voy-Gillis, Docteure de l’Institut Français de Géopolitique

Entretien publié le 24 Mai 2022

Centre Algérien de Diplomatie Économique : Bonjour Docteure Anaïs Voy-Gillis, pourriez-vous vous présenter auprès de nos lecteurs ?

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Dr Anaïs Voy-Gillis : Je suis docteure en géographie de l’Institut Français de Géopolitique après avoir soutenu une thèse portant sur les enjeux et les déterminants de la réindustrialisation de la France. En parallèle, je suis directrice associée du cabinet June Partners où j’ai effectué ma thèse en contrat CIFRE. En outre, je suis chercheuse associée au laboratoire CEREGE de l’IAE de Poitiers.

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CADE : Vous avez écrit avec Olivier Lluansi un livre intitulé « Vers la renaissance industrielle française ». Qu’est-ce qui vous a motivé à entreprendre cet ouvrage ? Et pourquoi avoir choisi ce titre ?

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Dr Anaïs Voy-Gillis : L’idée est venue de la maison d’Éditions, les Éditions Marie B, qui souhaitait traiter le sujet de l’industrie et d’une possible réindustrialisation de la France. En entamant ce travail, nous étions intéressés par l’idée de revenir sur l’histoire de la désindustrialisation de la France car nous partions de l’idée que pour avoir une réindustrialisation pérenne, il fallait comprendre les causes de la désindustrialisation : économique, politique, etc.

Pour le nom, il y avait l’idée que la réindustrialisation renvoie souvent dans l’inconscient collectif à refaire exactement comme avant alors que par essence, l’industrie qu’il s’agisse de relocalisation, d’extension de sites ou de création de nouvelles activités sera différence.

Ensuite, la Renaissance (XVe-XVIe voire XVIIe siècles) a été une période caractérisée par des changements en profondeur de la société. Elle correspond à une nouvelle manière de diffuser l’information (imprimerie), l’évolution des échanges commerciaux et des changements de représentations du monde. Or, dans le contexte actuel, géopolitique et climatique, l’industrie nous devons faire évoluer en profondeur notre approche du rôle de l’industrie dans notre société. La renaissance de l’industrie doit nous permettre de relever les grands défis du XXIème siècle (changement climatique, gestion des déchets, etc.) en s’appuyant sur les savoir-faire de ce secteur.

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CADE : Quels sont les défis majeurs de la renaissance industrielle française ?

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Dr Anaïs Voy-Gillis : Le défi majeur est de changer le paradigme industriel. Il y a à la fois un enjeu d’évolutions des modes de consommation pour rompre avec la consommation de masse, ce qui posera des questions car l’industrie repose aussi sur des principes de massification de la production.

Il y a également le besoin de faire évoluer la manière dont on conçoit, produit et distribue les biens industriels. La conception car il faut aller vers des produits réemployables et recyclables, en intégrant des réflexions sur le choix des matières, l’impact environnemental de ces choix, etc. Pour la production, il y a l’enjeu de la décarbonation qui est désormais bien compris, même si l’enjeu est de réduire les émissions carbones et non de les compenser. La compensation ne sera jamais une réponse satisfaisante. D’autres questions se posent sur l’équilibre entre production et préservation de la biodiversité. L’enjeu est de regarder les externalités négatives produites à toutes les étapes de la chaîne de valeur d’un produit : de l’extraction des matières premières nécessaires à sa fabrication à la gestion de sa fin de vie. Il faut également avoir une vision systémique de l’industrie et ne pas regarder uniquement à l’échelle d’un site industriel. Le travail est long, mais cela est clé.

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CADE : La crise de la COVID-19 a eu pour effet de révéler certaines fragilités de l’industrie française. Est-il possible de nous en citer quelques-unes ?

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Dr Anaïs Voy-Gillis : Certaines faiblesses sont bien connues puisqu’elles sont identifiées comme les freins à notre réindustrialisation dans une succession de rapport publié depuis plus de 20 ans, sans d’ailleurs avoir réussi à trouver de remèdes pertinents. Parmi elles, on peut citer le déséquilibre du tissu industriel avec de nombreuses PME, quelques grands groupes mais très peu d’entreprises de taille intermédiaire alors que ces dernières jouent un rôle clé dans l’économie. Les ETI sont ancrées dans leur territoire, notamment avec souvent un siège social en dehors de la région parisienne, innovantes et exportatrices.

Il est également possible de citer le sous-investissement dans l’outil productif, notamment dans la modernisation et l’automatisation des sites de production, la R&D et la formation. La structure capitalistique des entreprises avec beaucoup de filiales de groupes étrangers et assez peu d’entreprises familiales par rapport à l’Allemagne ou encore l’insuffisante représentation des salariés dans les conseils d’administration alors qu’ils peuvent favoriser des choix différents, notamment en termes de localisation d’activités.

Il y a également le fait que les grands donneurs d’ordre ne jouent pas toujours le jeu avec leur écosystème de sous-traitants, en ne respectant pas les délais de paiement par exemple. La fiscalité peu adaptée et la multiplication de dispositifs publics illisibles, complexes et relevant plus du saupoudrage que de l’action concrète sont aussi souvent mis en avant. D’ailleurs, avec le plan de relance puis France 2030 de nombreux dispositifs sont en train de naître, avec des sujets de gouvernance et d’efficacité.

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CADE : Comment positionnez-vous la France sur l’échiquier géopolitique des puissances industrielles ?

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Dr Anaïs Voy-Gillis : La France est le pays le plus désindustrialisé de la zone euro. Toutefois, elle conserve des atouts dans des biens de haute technologie comme l’aéronautique et reste dans les premières puissances mondiales en termes de PIB. Mais avec la désindustrialisation, elle a d’une part perdu certains fleurons industriels qui ont été cédés, érodant sa souveraineté au passage. Elle va devoir, avec ses entreprises nationales, travailler pour le renforcement de son tissu productif, investir dans l’innovation et choisir ses combats. Le combat va être féroce car d’autres nations ont des ambitions fortes avec une feuille de route claire comme l’Allemagne, la Corée du Sud, la Chine, etc.

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CADE : Vous dites que l’avenir de l’industrie française est conditionné par la capacité de rebond de ses entreprises et écosystèmes. Pourriez-vous nous en dire davantage ?

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Dr Anaïs Voy-Gillis : Il faut préserver le tissu productif restant en France car sinon on risque de passer sous un seuil critique. L’enjeu de la renaissance industrielle est donc de solidifier ces écosystèmes et de favoriser leur développement avec des commandes. Implanter des activités d’assemblage sur le territoire est bien, mais il faut que les approvisionnements de ces usines se fassent autant que possible auprès d’usines françaises et si possible de proximité.

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CADE : Vous avez achevé votre livre un peu avant la crise de la COVID-19. Si vous aviez eu suffisamment de temps, quels paramètres auriez-vous voulu intégrer ?

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Dr Anaïs Voy-Gillis : Nous aurions surement insisté sur les enjeux géopolitiques liés à l’industrie, mais également expliciter comment la renaissance de l’industrie française est aussi une réponse à la crise climatique. En maîtrisant notre production, nous sommes également moins dépendants de la trajectoire carbone des autres nations.

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Entretien réalisé par l’équipe du Centre Algérien de Diplomatie Économique.

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