DESERTEC 3.0 : Quand Algérie rime avec Green Energy – Entretien avec M. Paul Van Son, Président de Desertec Industrial Initiative (DII)
Interview publiée le 18 Octobre 2020
Bonjour M. Paul Van Son, nous tenons à rappeler à nos lecteurs que vous avez déjà été interviewé par le CADE sur la base de l’initiative Desertec et son éventuelle implémentation en Algérie. Rappelons que vous êtes le CEO du consortium Dii Desert Energy. Et, au-delà de vos fonctions au conseil d’administration, vous êtes concerné par la gestion opérationnelle des problématiques axées sur la transition énergétique internationale, les actifs liés aux énergies renouvelables, le transport d’électricité et de gaz, l’efficacité énergétique, de l’hydrogène vert ainsi que d’autres aspects relatifs au développement durable. Vos 40 ans d’expérience au sein de l’industrie internationale de l’énergie vous ont permis d’appréhender les enjeux stratégiques liés à la transition énergétique, principalement en ce qui concerne les pays de la région MENA.
Centre Algérien de Diplomatie Économique : En 2019, vous avez sorti un livre co-écrit avec Thomas Isenburg, intitulé « Emission Free Energy from the Deserts : How a Crazy Desertec Idea Has Become Reality in North Africa and the Middle East ». Un ouvrage qui retrace l’histoire de l’initiative Dii Desert Energy. Pourriez-vous développer les principaux axes d’évolution de l’initiative Desertec, de son lancement jusqu’au format Desertec 3.0 ?
Paul Van Son : Comme vous le savez, notre initiative industrielle Desertec, Dii Desert Energy, a débuté, en 2009, en Allemagne. À cette époque, l’accent était presque exclusivement mis sur « l’exportation d’énergie verte des déserts vers l’Europe, essentiellement produite par de grandes installations solaires thermiques en Afrique du Nord ». Nous appelons cette phase « Desertec1.0 ». Après quelques années d’études et de débats turbulents, notre initiative a abandonné cette idée concentrée sur l’exportation, pour se focaliser sur le développement du marché régional : l’initiative a donc déménagé de l’Allemagne à Dubaï. Nous étions convaincus que l’exportation ne fonctionnerait jamais tant que la transition énergétique locale n’aurait pas eu lieu. Nous avons donc décidé d’aider les pays et les industries de la région à lever les obstacles aux projets d’énergies renouvelables (Desertec2.0). La transition énergétique dans les pays de la région MENA a depuis pris un essor impressionnant. Récemment, nous avons ajouté de l’hydrogène (également appelé « molécules vertes ») à notre programme et nous aidons ainsi les pays à devenir une centrale verte pour eux-mêmes mais également pour les marchés mondiaux de l’énergie (p. ex. en se servant de l’infrastructure gazière existante ou l’acheminement par navire, un peu comme le GNL). C’est donc la troisième phase du projet appelée Desertec3.0.
C.A.D.E : Aujourd’hui, Sonelgaz figure sur la liste des organisations partenaires du consortium Dii Desert Energy. Néanmoins, ce fait n’a pas empêché le ministre algérien de l’énergie de tenir des propos allant à l’encontre de l’initiative Desertec. De ce fait, considérez-vous toujours Sonelgaz comme un partenaire stratégique dans l’initiative Dii Desert Energy ?
Paul Van Son : Sonelgaz est considérée comme étant la contrepartie algérienne en ce qui concerne Dii Desert Energy et cela à partir de l’année 2010. Nous avons réalisé et commandité une série d’études sur le réseau et l’énergie solaire au cours de la première période. Nous sommes très heureux que Sonelgaz soit devenue, en 2020, un partenaire officiel, car notre travail visant à relier les industries locale et internationale ne peut être efficace et couronné de succès sans de solides partenaires locaux. Nous espérons que Sonelgaz restera un partenaire à long terme, à tout le moins jusqu’à l’accomplissement de notre mission, qui consiste à mettre en place, en Algérie, un système d’énergie principalement à zéro émission avec des exportations substantielles d’énergie.
C.A.D.E : Le ministre de l’énergie, Abdelmadjid Attar, a déclaré, le lundi 31 août 2020, que le projet Desertec était « dépassé » et qu’il faudrait « l’oublier ». Êtes-vous d’accord avec cette affirmation, que l’initiative Desertec dans son évolution actuelle est dépassée et ne correspond plus aux enjeux énergétiques de l’Algérie ?
Paul Van Son : Je suis d’accord avec le ministre pour dire qu’il faut oublier le début précoce de Desertec, en 2009, car il s’agissait d’une exportation trop étroite de l’énergie verte vers l’Europe. Aujourd’hui, nous comprenons tous que l’exportation d’électricité verte ou de produits énergétiques dérivés comme l’hydrogène vert, l’ammoniac, le méthane, …n’aura de sens que lorsque les marchés énergétiques locaux atteindront un certain niveau concernant la zéro émission nette. Je suppose que Monsieur le ministre aurait beaucoup de sympathie pour notre approche Desertec 3.0, étant donné qu’elle implique pleinement les gouvernements locaux et les parties prenantes dans les objectifs, les ambitions, les feuilles de route, la vélocité et la mise en œuvre du projet de transition énergétique. Il appartient bien évidemment au gouvernement algérien de faire connaître son opinion sur Desertec 3.0 ; comme l’Algérie devenant une centrale verte basée sur de colossales sources d’énergies solaire et éolienne. Je pense qu’il n’y a guère de pays, en Afrique, qui ait des conditions aussi favorables que l’Algérie du point de vue de ses extraordinaires sources d’énergie, de son potentiel financier, de ses professionnels hautement qualifiés, d’une longue et solide tradition en matière d’infrastructures énergétiques et de sa position pivot dans la Méditerranée. Dii Desert Energy pourrait, pour ainsi dire, être le « partenaire impartial pour les projets à zéro émission et la prospérité durable » au niveau de l’industrie. Je reste convaincu que ça serait profitable pour tout le monde, si nous pouvons maintenir un dialogue ouvert. Nous nous sentons bénis de pouvoir profiter de ce dialogue dans d’autres pays de la région MENA, particulièrement au Maroc, aux Émirats Arabes Unis et en Arabie saoudite. Pourquoi cela ne serait-il pas possible en Algérie ?
C.A.D.E : Le ministre de l’énergie a également avancé l’idée que le projet Desertec3.0 constituerait un investissement colossal pour le pays. Pourriez-vous, sur la base de ces propos, apporter plus d’éclaircissements en la matière ?
Paul Van Son : Comme vous le savez, Dii Desert Energy est une initiative impartiale de l’industrie régionale et internationale sans but lucratif ou politique. Elle vise à créer un nouveau marché sans émission et non subventionné le long de la chaîne de valeur énergétique, depuis la phase de production, en passant par la conversion possible en « molécules vertes », le transport de l’énergie, le stockage et pour finir la demande flexible. Dii n’est ni un promoteur ni un investisseur, car il s’appuie sur des parties publiques et privées pour conduire la transition énergétique. Nous encourageons aussi les projets d’énergies renouvelables, lesquels dans le cas de l’Algérie aboutiront à une réduction de la combustion du gaz naturel. Nos partenaires industriels comprennent des entreprises régionales comme ACWA Power, NEOM et Al Gihaz en Arabie Saoudite, Masdar aux Émirats Arabes Unis, Masen, Nareva du Maroc et Sonelgaz, mais aussi des entreprises européennes et chinoises.
Nous comprenons et respectons les dilemmes inévitables des pays encore fortement dépendants des énergies fossiles. Notre travail n’est pas de « lutter contre les fossiles » mais d’ouvrir la voie à une transition énergétique fondée sur des énergies renouvelables abondantes et très bon marché, lesquelles, selon nous, seront au final les plus profitables pour un pays comme l’Algérie. De nombreux plans, des accords publics et privés globaux et locaux orientent la transition énergétique mondiale à long terme. Dans ce registre on peut citer l’Accord de Paris de 2015 sur le climat et les changements climatiques. Comme la plupart des énergies renouvelables sont aujourd’hui concurrentielles sans subventions, elles sont devenues la solution naturelle dans la plupart des nouvelles analyses de rentabilisation. Cela est censé être une bonne nouvelle pour tout gouvernement.
C.A.D.E : Le consultant en transition énergétique, Toufik Hasni, s’était récemment exprimé sur le retard de l’Algérie en matière de transition énergétique. Pensez-vous qu’il est possible de rattraper ce retard ?
Paul Van Son : Certains pays de la région MENA sont considérés comme les premiers acteurs de la transition énergétique. Dernièrement, NEOM d’Arabie Saoudite, l’un des développeurs d’énergie à émission zéro les plus importants et les plus innovants, a rejoint Dii Desert Energy. Ils ont la chance d’être encouragés par leurs gouvernements respectifs le plus vigoureusement possible. NEOM, ACWA Power et Air Products ont récemment signé un contrat de 5 milliards de dollars pour la production et la vente d’ammoniac vert, basé sur l’hydrogène vert provenant des actifs de NEOM. Nous comprenons que ce ne sont pas tous les pays qui peuvent accepter de telles conditions. L’Algérie est peut-être en retard mais il n’est pas encore trop tard. Tout le monde à la chance de pouvoir s’améliorer continuellement, il suffit juste de savoir saisir cette chance. Je pense que l’Algérie ne devrait pas regarder en arrière sur les opportunités qu’elle a manquées, mais regarder vers l’avant sur la manière de devenir le vainqueur de demain, avec son peuple et l’ensemble des ressources dont elle dispose. Les gazoducs existants vers l’Europe pourraient être réutilisés pour l’hydrogène (H2) et donc l’opportunité d’une transition inévitable du gaz vers le H2.
C.A.D.E : Pour finir, est-ce qu’au niveau de Dii Desert Energy, vous considérez encore l’Algérie comme un pays partenaire dans le cadre de l’initiative Desertec 3.0 ?
Paul Van Son : Tous les pays, gouvernements et industries de la région MENA sont nos partenaires naturels. Dii Desert Energy n’est pas un organe politique mais un simple mouvement industriel pour l’accélération de la transition énergétique dans la région MENA. Nous sommes bien conscients que, pour une raison ou une autre, certains pays adoptent notre mouvement et nos efforts plus que d’autres. Nous devons accepter cela. Nous aimons l’ensemble de nos partenaires car nous croyons qu’en fin de compte, nous partageons tous les mêmes objectifs allant dans le sens d’une énergie abordable, sûre et sans émissions nocives.
Entretien réalisé par l’équipe du Centre Algérien de Diplomatie Économique.