L’économie informelle en Algérie : Enjeux et avantages de son intégration – Article de Djamila Bensaadi, Membre du Club d’Alger du Centre Algérien de Diplomatie Économique

Article publié le 12 Janvier 2021

L’Algérie fait face à une récession économique dans un contexte marqué par une mobilisation sociale et une transition politique au cours desquels l’économie algérienne a connu une contraction des recettes pétrolières, mais encore des difficultés liées aux mesures strictes de confinement adoptées dans le but de contenir la Covid-19. Des mesures qui ont engendré diverses problématiques au sein des secteurs à forte employabilité tel que le bâtiment ; une branche relevant en grande partie de l’économie informelle, sanctionnée par une suppression d’emplois temporaire ou permanente. D’autres conséquences sont également visibles au travers des réserves de change qui s’amenuisent, un rythme de l’économie qui s’essouffle, un recul perceptible de l’activité pétrochimique et le secteur privé qui peine à s’imposer comme le nouveau moteur de la croissance. À l’instar des autres pays exportateurs de pétrole, l’Algérie est appelée à concevoir un modèle économique plus diversifié, créateur de richesses et permettant d’accroitre les recettes budgétaires en tenant compte de l’efficacité et l’équité des dépenses publiques afin de protéger les populations les plus vulnérables.

L’économie Algérienne comme la plupart des économies en développement se caractérise par une capacité restreinte de création d’emplois, une baisse du niveau de rémunération du travail et une situation d’inefficacité du système éducatif, qui sont autant de facteurs impactant l’économie formelle. Les dernières recherches menées sur le fonctionnement du marché du travail des pays en voie de développement ont montré l’importance du secteur informel dans sa contribution à l’emploi. En effet, la forte demande du marché du travail dans le secteur formel pousse certains actifs vers le marché du travail informel, qui absorbe effectivement une part importante de l’excèdent de main d’œuvre (1/3 à 2/3 du marché formel).  L’informel revêt un caractère anti-crise soutenu par les ménages pour leur survie. L’absence du système d’assurance chômage contraint les personnes n’ayant pu trouver d’emploi dans le secteur formel à chercher des moyens de subsistance en développant des activités qui ne sont pas soumises à la réglementation du marché du travail dans le secteur formel. Néanmoins, ce choix délibéré pour l’informel ne se justifie pas uniquement par le devoir d’accomplir son droit fiscal, bien d’autres mesures peuvent justifier ce choix.

L’Algérie pour sa part a décidé d’intervenir sur le marché du travail et mettre un plan d’action pour la promotion de l’emploi contre le chômage. Les principaux axes résident dans le développement de l’entrepreneuriat suivi par les dispositifs gouvernementaux de micro- entreprise (ANSEJ-CNAC-ANGEM).  

La politique de l’emploi a-t-elle contribué à réduire la part de l’informel ?

Pour répondre à cette question, l’on se doit de définir l’activité informelle dont les prémices ont été observées à partir des années 1950. En effet, le phénomène d’exode rural a commencé à faire son apparition dans les pays du tiers monde, où de nombreuses populations quittaient les zones rurales en direction des zones urbaines pour s’y installer. Ainsi, l’activité informelle a conquis une certaine popularité vers les années 70, selon le BIT (Bureau International du Travail). Le secteur informel pourrait de ce fait être décrit comme étant l’ensemble des activités créatrices de biens et services qui échappent au regard de l’État. Ce secteur est ainsi caractérisé par un faible niveau d’organisation et des activités certes échappant au contrôle de l’état mais versées dans la création d’emploi à l’endroit d’une population appauvrie. Quand bien même, ces activités informelles venaient à absorber ou contenir le marché de l’emploi en termes de main d’œuvre, il n’en demeure pas moins qu’elles pourraient prendre une tournure désavouée et délictueuse. C’est la raison pour laquelle il devient impératif de concevoir une stratégie de régularisation des activités informelles.

Qu’est-ce que l’économie informelle ?

L’économie informelle ne doit pas être confondue avec l’ensemble de l’économie souterraine appelée aussi « économie cachée ou toxique », qui est illicite, versée dans la contrebande et la contrefaçon. L’activité informelle est désignée comme un ensemble d’activités légales et productrices de biens et de services licites. Elle peut également être considérée comme un lot d’activités de survie. Selon le BIT, l’économie informelle est définie comme étant un ensemble d’activités économiques qui fonctionnent à petite échelle, avec un capital minimum, une main d’œuvre familiale et un apprentissage qui se fait sur le tas. Elle regroupe en outre des activités qui se pratiquent en marge de la législation, ne disposant point de comptabilité au sens classique et réglementaire. Pour finir, ces activités économiques se pratiquent au vu et au su des autorités.

Les obstacles à la formalisation, de quoi parle-t-on ?

En effet, bon nombre de facteurs et embuches empêchent toute mesure de formalisation de l’économie informelle. Certains sont cités ci-dessous :

  • Obstacles règlementaires : Une règlementation lourde et couteuse, source d’informalité et de corruption affectant l’environnement des affaires.
  • Obstacles administratifs : Lourdeur des formalités, abus d’autorité, méthode de travail archaïque, manque de moyens, centralisation excessive et retard dans les décisions administratives.
  • Obstacles financiers : Un niveau d’imposition élevé, de nombreux obstacles liés à l’immatriculation des entreprises, un excès de formalités administratives (coût inhérent et perte de temps).
  • Corruption : Elle est l’une des raisons pour lesquelles beaucoup d’entrepreneurs évitent de s’immatriculer. Leur but étant d’échapper à la corruption administrative.
  • Obstacles Socioculturels : Certaines défaillances émanant de l’État accentuent le développement de l’économie informelle, laquelle s’autorégule et parfois allant même jusqu’à se substituer à l’État quant à certaines fonctions régaliennes ou souveraines.
  • Absence de services dédiés aux entreprises : On peut considérer que l’état actuel des offres de service financier par exemple et d’autres types de prestations manquantes ou non optimisées sont autant d’obstacles qui ne facilitent pas l’action de formalisation de l’économie informelle.
  • Criminalité : La réticence évidente de certaines personnes disposant de fonds issus d’activités douteuses en vue d’une quelconque conversion vers le secteur formel, en supposant qu’une telle initiative pourrait inciter le crime organisé.

Comment éliminer les obstacles de la formalisation ?

  • Soutenir les vastes programmes de réformes règlementaires.
  • Instaurer une culture ouverte sur les entreprises et améliorer le service rendu.
  • Simplifier les formalités administratives.
  • Éviter l’imposition rétroactive.
  • Instaurer un impôt en adéquation avec l’activité économique sachant que certaines activités revêtent un caractère saisonnier.
  • Rationaliser les régimes et les droits d’immatriculation.
  • Promouvoir la réforme relative au droit du travail (flexibilité des contrats/emplois).
  • Restaurer la confiance à travers des mesures de lutte contre la corruption.
  • Bancarisation l’argent circulant hors circuit bancaire et proscrire la culture du cash par la mise en place des instruments de paiements électroniques.
  • Repenser l’usage et l’exploitation de l’espace public, lieu d’afflux et de passage, par la création davantage de commerces de proximité.

Quelles solutions préconiser pour une formalisation réussie ?

Selon le Bureau international du travail « BIT » et d’après certains experts, l’intégration de l’économie informelle vers l’économie formelle demeure un impératif dès lors qu’elle contribue à la résorption de l’excédent de main d’œuvre à juste titre. Selon les statistiques officielles, en Algérie, près de 6,2 millions de personnes ne sont pas affiliées à l’administration fiscale contre 4,7 millions de personnes bénéficiant d’une couverture sociale, ce qui donne un taux de non affiliation de 57% des travailleurs versés dans l’informel. L’impact est conséquent en termes de manque à gagner sur les recettes fiscales et parafiscales nationales. Ces faits ne peuvent être désormais occultés.

Quant aux activités illicites de contrebande, de trafic en tout genre et de contrefaçon, ceux-là doivent faire l’objet d’une lutte ardue en vue de leur éradication.

Parmi les outils d’intégration, l’inclusion financière :

L’inclusion financière ou la finance inclusive désigne l’offre de services financiers et bancaires de base à faible coût, spécifiques aux consommateurs en situation d’exclusion sociale, qui sont de fait exclus des services traditionnels de la banque.

L’inclusion financière se définit comme l’ensemble des dispositifs mis en place pour lutter contre l’exclusion bancaire et financière. De ce fait, les banques peuvent participer à l’éducation financière des clients fragilisés en leur proposant des services adaptés à leurs besoins et revenus. Les services de la micro finance sont à même de fournir des produits financiers aux personnes exclues du système financier classique ou formel.  

La micro finance offre la possibilité de fournir des produits alternatifs, par rapport aux circuits classiques, destinés aux populations touchées par la précarité et l’exclusion sociale, en contribuant à améliorer leur bien-être socio-économique.  

Il est pertinent de préciser que la cherté des services financiers, l’absence de justificatifs …, des obstacles venant contrecarrer la généralisation des services financiers les plus élémentaires. C’est la raison pour laquelle il faudrait des modes de financement à moindre coût pouvant émerger par la promotion du m-banking et de l’e-banking.

Eu égard à ce qui a été développé tout au long de cet article, il en ressort que l’activité informelle se positionne comme une soupape de sécurité ayant pour but de contenir la grogne sociale. Elle a eu pour effet une réduction du taux de chômage, en Algérie, à hauteur de 20% sur une période de 15 ans, jusqu’à la fin des années 2000, d’après ce qui a été relaté par l’hebdomadaire panafricain, Jeune Afrique. Cela parait paradoxal dès lors que les pouvoirs publics ne cessent d’affirmer le caractère nuisible de l’activité informelle à la santé économique de l’État. Alors, si l’informalité n’est guère synonyme de l’absence de l’État, pourquoi ce dernier ne parvient-il pas à appliquer les lois qu’il produit ? Et, si le secteur informel existe, cela ne suppose-t-il pas que ses fonctions ont été définies préalablement ? En outre, son omniprésence sert-t-elle des intérêts particuliers ?

Une chose est sure, l’activité informelle ne peut être la solution miracle à même d’éponger le seuil de la pauvreté. L’utilité de bâtir une économie axée sur la création de richesse et d’emplois s’avère un impératif vis-à-vis duquel il faut absolument agir sur l’économie informelle en repensant notre conception du marché du travail et en agissant sur la pauvreté, la précarité, l’exclusion, les régions enclavées, etc.

Le manque de visibilité économique, d’anticipation, de contrôle et de prospective semblent tous échapper aux yeux des autorités dans des circonstances douloureuses en termes économique et sociale. Selon moi, l’espoir devrait être mis sur l’innovation, qui pourrait venir à la rescousse d’une économie au plus mal.

Références :

Ouvrages :

  • L’état et l’informel –Bruno Lautier, Claude de miras, Alain Morise (Edition l’Harmatan)
  • Economie informelle et les politiques d’emploi en Algérie, quel impact (thèse)–Ali-Souag
  • Musette Mohamed Saib, sociologue, recteur et chercheur CREAD, Algérie
  • Kenza Cherfaoui, professeure à la faculté des sciences juridiques et économiques (Université Mohamed 6-Maroc)

Sources internet :

Djamila Bensaadi :

  • Membre du Club d’Alger du Centre Algérien de Diplomatie Économique
  • Consultante-Formatrice et Ex-Cadre bancaire

Article publié par l’équipe du Centre Algérien de Diplomatie Économique

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