« Apocalypse cognitive » – Interview du Professeur Gérald Bronner, Auteur, membre de l’Académie des technologies et de l’Académie nationale de médecine en France

Interview publiée le 19 Avril 2022

Centre Algérien de Diplomatie Economique : Bonjour Gérald Bronner, pourriez-vous vous présenter auprès de nos lecteurs ?

Pr Gérald Bronner : Je suis Professeur de sociologie à l’université de Paris-Cité, membre de l’Académie des technologies et de l’Académie nationale de médecine. Je travaille sur les croyances collectives, les erreurs de raisonnement et leurs conséquences sociales. J’ai publié plusieurs ouvrages traduits dans une dizaine de langues sur ces questions.

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CADE : Le 6 janvier 2021, une date correspondant à la parution de votre dernier livre intitulé « apocalypse cognitive ». Comment peut-on interpréter le titre de cet essai qualifié de passionnant et de déroutant ?

Pr Gérald Bronner : Le titre est un peu piège car il pourrait faire croire que je prophétise une sorte de fin des temps ! En réalité, je me réfère à l’étymologie du terme qui signifie « révélation ». Cette révélation dont je fais le titre de mon ouvrage est celle que nous ne laissons pas les innombrables traces que nous laissons dans les mondes numériques. Ces traces révèlent des choses sur notre espèce que nous essayons bien souvent de cacher. Je défends l’idée qu’il est important que nous acceptions cette révélation tout en ne se laissant pas enfermer dans cette image peu flatteuse de notre espèce.

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CADE : Le développement technologique a engendré une surcharge informationnelle. Quels sont les risques sociologiques de cet excès d’informations ?

Pr Gérald Bronner : Le risque principal est de ne plus savoir où se trouve l’information essentielle. Ce que j’observe dans ce livre c’est une dispersion attentionnelle de plus en plus inquiétante : elle nous prive peu à peu de notre trésor le plus précieux qui est l’usage raisonnable de notre cerveau. Le monde de l’information tend à s’indexer de plus en plus sur nos obsessions les moins avouables. Ce processus est profond, il modifie les règles du jeu démocratique et de la vie dans la cité. Nous sommes à un carrefour civilisationnel.

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CADE : Qu’est-ce que la disponibilité mentale ? Et quels sont les produits cognitifs qui vont capter notre temps de cerveau disponible ?

Pr Gérald Bronner : La disponibilité mentale est ce qui nous reste dans une journée lorsque l’on a retiré le temps de travail, le temps biologique (sommeil etc ?), le temps de transport, des tâches domestiques… Bref, le temps qu’il nous reste pour créer, rêver ou se distraire. Mais précisément cette disponibilité est de plus en plus absorbée par ce qui se passe sur nos écrans. Dans ce monde-là que nous connaissons tous, certaines propositions fondées sur les informations égocentrées, sur la conflictualité, sur la peur… sont de nature à hameçonner notre attention et à devenir de plus en plus envahissantes dans notre vie mentale.

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CADE : Pourquoi notre esprit est-il aujourd’hui victime d’un « pillage en règle » ? Et par quels mécanismes cela se produit-il ?

Pr Gérald Bronner : Notre cerveau a certaines dispositions évolutionnaires, par exemple la sensibilité au risque, à la faible probabilité, à la colère chez les autres, etc. Tout cela a toujours existé en nous mais l’environnement numérique donne une nouvelle actualité à ces anciennes obsessions et nous voilà donc confronter à notre nature.

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CADE : Comment peut-on définir le « marché cognitif » ? Et quel est son état actuel ?

Pr Gérald Bronner : Le marché cognitif appartient à une famille de phénomènes (à laquelle appartient aussi le marché économique) où des échanges sociaux se produisent : s’y échangent ce que l’on pourrait appeler des produits cognitifs : hypothèses, croyances, connaissance etc. Jamais dans l’histoire de l’humanité ce marché aura été caractérisé par une telle pression concurrentielle.

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CADE : Quelles sont ces nouvelles formes de crédulité touchant le monde contemporain ?

Pr Gérald Bronner : On retrouve tous les produits de la crédulité qui ont traversé notre histoire : théorie du complot, superstition, idéologie etc. Mais l’on observe une tendance très contemporaine à des formes de coalescence cognitive comme le conspiritualisme : alliance de la spiritualité et des théories du complot.

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CADE : Pour finir, comment le complotisme dérègle-t-il le marché de l’information ?

Pr Gérald Bronner : Le complotisme ne dérègle pas le marché de l’information : il n’est qu’une proposition de description du monde parmi d’autres. Simplement cette narration catalyse des formes de colères sociales (qui peuvent par ailleurs être fondées) et tendent à fracturer le socle épistémique commun qui forme toute vie en société.

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Entretien réalisé par l’équipe du Centre Algérien de Diplomatie Économique.

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